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NICOLAS NICKLEBY.

naire des matrones du dix-neuvième siècle. Il s’appliqua sérieusement, à la composition de l’affiche, avec l’aide de sa femme et de madame Grudden. Cette dame accomplie avait un talent tout particulier pour rédiger les annonces, et savait au juste où jeter les points d’admiration et placer les lettres capitales.

Dans l’intermède du soir, Smike remplit le rôle d’un tailleur maigre, avec un seul pan à son habit, un petit mouchoir de poche percé d’un grand trou, un bonnet de laine, un nez rouge et autres marques distinctives des tailleurs de théâtre.

— Holà ! lui dit Nicolas de la chaise du souffleur où il était assis, je voudrais que tout ceci fût fini. — Fini ! monsieur Johnson, répéta, derrière lui une voix de femme avec l’accent de la surprise et de la plainte. — Sans doute, dit Nicolas reconnaissant miss Snevellicci ; je ne l’aurais pas dit si j’avais su que vous pussiez m’entendre. — Que j’aime ce monsieur Digby ! dit miss Snevellicci.

Digby était le nom de théâtre de Smike, qui venait de terminer son rôle et quittait en ce moment la scène au milieu des applaudissements universels.

— Je vais le lui dire pour sa satisfaction, repartit Nicolas. — Méchant ! repartit miss Snevellicci. Au reste, peu m’importe qu’il sache l’opinion que j’ai de lui, mais il en est d’autres…

Miss Snevellicci s’arrêta, comme si elle se fût attendue à une question, mais Nicolas resta muet ; il était occupé d’affaires plus sérieuses.

— Miss, ajouta-t-il en voyant Smike approcher, nous allons tous deux vous souhaiter le bonsoir. — Non, je ne le souffrirai pas, reprit miss Snevellicci. Il faut venir chez nous voir maman, qui est arrivée aujourd’hui à Portsmouth, et meurt d’envie de vous connaître. Ma chère Ledrook, décidez M. Johnson. — Oh ! répondit miss Ledrook avec impétuosité, si vous ne pouvez le décider…

Miss Ledrook n’en dit pas davantage, mais elle donnait adroitement à entendre que si miss Snevellicci ne parvenait pas à décider Nicolas, personne n’y réussirait.

Là-dessus miss Snevellicci dit que miss Ledrook était une étourdie ; miss Ledrook répondit à miss Snevellicci qu’il était inutile de tant rougir ; miss Snevellicci battit miss Ledrook, et miss Ledrook battit miss Snevellicci.

Miss Ledrook prit le bras de Smike, et laissa son amie et Nicolas les suivre isolément ; ce qui arrangea Nicolas, peu soucieux d’un tête-à-tête.

Quand ils furent dans la rue, ils ne manquèrent pas de sujets de conversation. Ils arrivèrent bientôt à la maison, où ils trouvèrent, outre M. Lillywick et madame Lillywick, non-seulement la mère, mais encore le père de miss Snevellicci. C’était un bel homme au nez crochu, au front blanc, aux cheveux noirs frisés, aux pom-