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NICOLAS NICKLEBY.

de dire. — Moi, du moins, Monsieur, répondit gracieusement miss la Creevy, je vous en suis fort obligée. Voudriez-vous me faire le plaisir de regarder quelques-unes de mes miniatures ? — Vous êtes bien bonne, Madame, dit M. Nickleby ouvrant la porte en toute hâte, mais comme j’ai une visite à faire en haut, et que mon temps est précieux, véritablement cela m’est impossible. — Une autre fois, quand vous repasserez. — Bonjour, Madame, dit Ralph fermant précipitamment la porte pour prévenir toute conversation ultérieure. Maintenant, chez ma belle-sœur. Bah ! Grimpant une autre montée perpendiculaire, uniquement composée, avec beaucoup de talent mécanique, de petites marches anguleuses, M. Ralph Nickleby s’était arrêté pour prendre haleine sur le palier, quand il fut devancé par la domestique, que la politesse de miss la Creevy avait dépêchée pour l’annoncer.

— Votre nom ? dit la domestique. — Nickleby. — Oh ! madame Nickleby, s’écria la domestique en ouvrant la porte avec violence, voici M. Nickleby.

Une dame en grand deuil se leva à l’aspect de M. Ralph ; mais elle semblait incapable de s’avancer à sa rencontre, et s’appuya sur le bras d’une frêle mais belle jeune fille d’environ dix-sept ans qui était assise auprès d’elle. Un jeune homme qui paraissait d’un ou deux ans plus âgé se leva et salua Ralph du titre d’oncle.

— Oh ! grommela Ralph en fronçant le sourcil, vous êtes Nicolas, je le suppose.

— C’est mon nom, Monsieur, répondit le jeune homme. — Prenez mon chapeau, dit Ralph d’un ton impérieux. Eh bien ! Madame, comment vous portez-vous ? Il faut vous roidir contre la douleur. C’est ce que je fais toujours. — Ce n’est point une perte ordinaire, dit madame Nickleby en mettant son mouchoir sur ses yeux.

— Elle n’a rien d’extraordinaire, Madame, reprit Ralph tout en déboutonnant froidement son surtout. Les maris meurent tous les jours, Madame. Vous ne m’avez pas dit dans votre lettre quelle était la maladie de mon frère, Madame ? — Le docteur n’en a pu fixer le nom, dit madame Nickleby en fondant en larmes ; nous n’avons que trop sujet de craindre qu’il ne soit mort parce qu’il avait le cœur brisé.

— Bah ! dit Ralph, c’est impossible. Je permets qu’on dise qu’un homme est mort de s’être cassé le cou, qu’il souffre d’un bras cassé, ou d’une tête cassée, ou d’une jambe cassée, ou d’un nez cassé, mais d’un cœur brisé !… folie ! voilà le langage hypocrite du jour ; qu’un homme ne puisse payer ses dettes, il meurt le cœur brisé, et sa veuve est une martyre. — Il y a des gens, je crois, qui n’ont point de cœur à briser, observa tranquillement Nicolas. — Quel âge a ce garçon ? demanda Ralph en se retournant sur sa chaise et toisant son neveu de la tête aux pieds d’un air de mépris. — Nicolas a près de dix-neuf ans, répondit la veuve. — Dix-neuf ans, oh !