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NICOLAS NICKLEBY.

— Je ne crois pas, répondit Smike. Squeers ne s’est aperçu de ma fuite que lorsque j’étais bien loin.

Newman se gratta la tête d’un air de désappointement, éleva encore une fois la jatte, et s’en administra le contenu tout en souriant à Smike par-dessus le bord.

— Vous resterez ici, dit Newman, vous êtes fatigué, harassé. Je leur dirai que vous êtes de retour. Ils avaient presque perdu la tête à cause de vous. M. Nicolas… — Que Dieu le bénisse ! s’écria Smike. — Amen ! reprit Newman. Il n’a pas eu une seule minute de repos ni de tranquillité, pas plus que la vieille dame et miss Nickleby.

Dans son enthousiasme, il allait continuer, quand, jetant les yeux sur lui, il s’aperçut que Smike s’était couvert la figure avec ses mains, et que des larmes glissaient entre ses doigts.

Un moment auparavant les yeux du jeune homme avaient étincelé d’un feu inaccoutumé, et tous ses traits avaient brillé d’une animation qui le rendait tout différent de lui-même.

— Bien, bien, murmura Newman. J’ai été touché plus d’une fois de ce qu’une pareille nature eût été en proie à tant de tribulation ; ce pauvre garçon… Oui, oui, il sent cela aussi, il en est attendri, il se rappelle ses propres malheurs. Ah ! voilà ! Oui, c’est cela !… Hum !

Le but de ces réflexions entrecoupées était d’expliquer l’émotion qui les avait suggérées. Les considérant comme suffisamment claires ; Newman Noggs demeura quelque temps à contempler Smike dans une altitude de rêverie. Puis il renouvela la proposition d’aller lui-même calmer l’inquiétude de la famille, pendant que Smike se coucherait. Mais Smike s’y refusant et alléguant son vif désir de revoir ses amis, ils sortirent ensemble.

La nuit était avancée ; Smike, épuisé de fatigue, se traînait péniblement, et ce ne fut qu’une heure avant le lever du soleil qu’ils atteignirent leur destination.

En entendant leurs voix si connues à la porte, Nicolas, qui avait passé une nuit blanche à chercher les moyens de retrouver son protégé perdu, sauta à bas du lit et les accueillit avec transport. Le plaisir et l’indignation s’exprimèrent d’une manière si bruyante que le reste de la famille fut bientôt éveillé, et Smike fut reçu cordialement, non-seulement par Catherine, mais aussi par madame Nickleby.

D’abord Nicolas fut disposé à croire que son oncle avait été complice de cette tentative hardie, qui avait failli réussir ; mais, après de plus mûres considérations, il fut convaincu que M. Squeers seul en avait toute la responsabilité. Déterminé à