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NICOLAS NICKLEBY.

rendre visite. Si vous n’y êtes pas, ou si je dérange ces dames, j’y retournerai ; c’est convenu. Frère Edwin, j’ai à vous parler.

Les jumeaux sortirent bras dessus, bras dessous, et laissèrent Nicolas pénétré de reconnaissance.

La nouvelle d’une pareille visite éveilla dans le cœur de madame Nickleby des sentiments de joie et de regret ; d’un côté, elle la considérait comme lui présageant son prochain retour aux plaisirs presque oubliés des visites et des soirées ; mais de l’autre, elle faisait d’amères réflexions sur l’absence d’une théière et d’un pot au lait d’argent, jadis orgueil de la maison, et gardés précieusement sur une planche qui se présentait sous de vives couleurs à son imagination attristée.

Néanmoins, elle s’occupa activement des préparatifs nécessaires pour la réception de ses hôtes. Après avoir disposé la décoration des appartements, elle alla donner un coup d’œil au jardin, qu’éclairait le plus brillant soleil.

— Ma chère Catherine, dit-elle en examinant l’état des allées, je ne sais comment cela se fait, mais par un beau jour d’été comme celui-ci, quand les oiseaux chantent de tous côtés, je songe toujours à du cochon de lait rôti à la sauce à l’ognon. — Le rapprochement est curieux, ma mère. — Je n’y comprends rien moi-même, ma chère… attendez. Cinq semaines après votre baptême, nous eûmes pour rôti… ce ne pouvait être un cochon de lait, car je me rappelle que ce rôti se composait de deux choses, et votre pauvre père et moi n’aurions jamais songé à manger deux cochons de lait rôtis ; c’étaient probablement des perdrix. Du cochon de lait !… maintenant que j’y songe, je crois que nous n’en avons jamais eu à dîner, car votre pauvre père n’en pouvait supporter la vue, prétendant que ces animaux ressemblaient à des enfants en bas âge, et il avait horreur des enfants en bas âge, parce qu’il n’aurait pu voir sans ennui s’augmenter le nombre des siens. Mais qui peut m’avoir mis cela dans la tête ?… Je me rappelle avoir dîné une fois chez madame Bevan. Elle logeait dans une grande rue, près d’un carrossier, et ce fut dans cette rue qu’un homme ivre tomba par le soupirail dans la cave d’une maison à louer, environ une semaine avant le trimestre, et n’en fut tiré que lorsque le nouveau locataire en reprit possession. Madame Bevan nous donna du cochon de lait, c’est cela probablement qui m’y fait penser, d’autant plus qu’il y avait dans la chambre un petit oiseau qui chanta tout le temps du dîner… c’est-à-dire.. ce n’était pas un petit oiseau, car c’était un perroquet, et il ne chantait pas précisément, car il parlait et jurait d’une façon terrible, mais je crois que ce doit être cela, j’en suis même persuadée. Qu’en dites-vous, ma chère ? — Je dis que ce n’est pas douteux, répondit