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NICOLAS NICKLEBY.

lui ai donnée, indemniserait largement l’homme qui lui apporterait la fortune la plus considérable en échange de sa main. — C’est précisément ce que je vous disais, reprit l’artificieux Ralph Nickleby ; c’est précisément ce qui me fait considérer notre proposition comme aisément acceptable. Les époux n’auront point d’obligations l’un à l’autre. De votre côté, Arthur, est l’argent ; du côté de miss Madeleine est le mérite. Elle est jeune sans avoir d’argent ; vous avez de l’argent sans être jeune ; vous troquerez ensemble ; c’est un mariage écrit au ciel. — Oui, ajouta Arthur Gride en fixant ses yeux louches sur le beau-père qu’il désirait, le ciel nous a faits l’un pour l’autre.

Ralph s’empressa de substituer à cet argument des considérations plus terrestres.

— Et puis, songez, monsieur Bray. Vous pouvez encore être l’ornement de la société ; vous avez encore devant vous plusieurs années d’existence, en admettant que vous soyez libre, sous un ciel plus clément ; vous êtes fait pour la société, où vous avez déjà figuré avec éclat. En France, avec un revenu qui vous mettra dans l’aisance, vous renouvellerez votre bail de vie. Londres a retenti autrefois du bruit de vos somptueux plaisirs ; et, instruit par l’expérience, vivant un peu aux dépens des autres, au lieu de les laisser vivre à vos dépens, vous pourrez briller encore sur une scène nouvelle. Dans le cas contraire, qu’arrivera-t-il ? une captivité plus ou moins longue, une fosse dans le cimetière voisin, peut-être dans deux ans, peut-être dans vingt ans d’ici, voilà le sort qui vous attend.

M. Bray appuya son coude sur le bras de sa chaise, et se cacha la figure avec la main.

— Je parle franchement, dit Ralph, parce que je sens fortement. Il est de mon intérêt que mon ami Arthur Gride épouse votre fille, parce qu’alors il me payera. Je ne le cache point. Mais quel intérêt vous avez vous-même à la décider à cette union ! Songez-y ; elle fera des difficultés, des objections ; elle dira qu’il est trop vieux, et qu’il la rendrait malheureuse ; mais qu’est-elle maintenant, et qu’a-t-elle chance de devenir ? Si vous mourez, les gens que vous détestez la rendraient heureuse ; mais pouvez-vous en supporter la pensée ? — Non, reprit Bray poussé par un ressentiment qu’il ne put réprimer. — Je le savais… Si elle profite de la mort de quelqu’un, ajouta Ralph plus bas, que ce soit de celle de son mari ; qu’elle n’ait pas à considérer la vôtre comme l’événement à partir duquel elle doit dater une vie plus heureuse. Que nous objecterait-on ? Que son futur est trop vieux ; mais combien de fois des hommes riches et puissants, qui n’ont pas votre excuse, marient, pour assouvir leur ambition, leurs filles à des vieillards, ou, qui pis est, à des jeunes