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Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. La Bédollière, 1840.djvu/242

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NICOLAS NICKLEBY.

gens sans tête et sans cœur ! Décidez pour elle, Monsieur, décidez pour elle. Vous savez ce qui lui convient ; elle vivra pour vous remercier. — Silence ! s’écria M. Bray se levant brusquement et couvrant d’une main tremblante la bouche de Ralph, silence ! je l’entends venir.

Il y avait une lueur de conscience dans la honte et la terreur de M. Bray. Cette action précipitée enleva momentanément la mince enveloppe de mensonges spécieux qui cachaient de honteux projets, et les exposa au grand jour dans toute leur bassesse et leur laideur. Le père tomba pâle et tremblant sur sa chaise ; Arthur Gride prit et fit tourner entre ses doigts son chapeau sans oser lever les yeux ; et Ralph lui-même, humble comme un chien battu, fut terrifié par la présence d’une innocente jeune fille.

Cet effet fut aussi bref que subit. Ralph fut le premier à se remettre ; et voyant que Madeleine avait l’air alarmée, il la pria de se rassurer en lui affirmant qu’il n’y avait rien à craindre.

— C’est un spasme, dit-il en désignant M. Bray ; le voici qui reprend ses sens.

Il y avait de quoi toucher le cœur insensible d’un homme du monde à voir cette jeune fille, dont on venait de tramer le malheur, sauter au cou de son père, et lui prodiguer les paroles de tendresse les plus douces qu’un père puisse entendre. Mais Ralph contempla froidement ce spectacle. M. Bray attira sa fille vers lui et l’embrassa tendrement. Ralph, qui l’avait constamment suivie des yeux, se dirigea vers la porte, et fit signe à Gride de sortir, et il lui dit :

— J’ai surpris des larmes dans les yeux de Madeleine ; elle aura bientôt d’autres motifs pour en répandre. Oh ! nous pouvons attendre avec confiance la fin de la semaine.


CHAPITRE XXXVIII.


Nicolas était triste en revenant de la maison de M. Bray chez les frères Cheeryble. Poursuivi par le souvenir de ce qu’il avait vu, il se montra tellement morose que Tim Linkinwater le soupçonna de s’être trompé dans un calcul, et le conjura sérieusement, s’il en était ainsi, de lui ouvrir son cœur et de lui faire un aveu sincère plutôt que de passer sa vie dans les remords ; mais, en réponse à ces représentations bienveillantes, Nicolas se contenta de dire qu’il n’avait jamais été plus joyeux, et pourtant il ne cessa toute la journée de s’occuper des mêmes idées.