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NICOLAS NICKLEBY.

tentes et les siéges des voitures, brillaient des plus riantes couleurs. Les vieilles banderoles rajeunissaient à la lumière ; la dorure fanée reparaissait, la toile sale et usée reprenait une blancheur de neige ; les feux du jour donnaient de la fraîcheur même aux haillons du mendiant, et la charité perdait ses droits en présence d’une pauvreté si pittoresque.

C’était une de ces scènes de vie et d’animation qui manquent rarement de charmes ; car l’œil, fatigué de la lumière et de l’éclat, peut se reposer de toutes parts sur de joyeuses physionomies, et l’oreille lasse d’un tumulte continu peut oublier les bruits qui l’importunent, pour n’entendre que des exclamations de joie. On aime à voir alors même les enfants des bohémiens, demi-nus et brûlés par le soleil ; on sent avec plaisir qu’ils sont chaque jour exposés à l’air et à la lumière, que ce sont des enfants qui mènent une vie enfantine, que leurs couches sont mouillées, non de larmes, mais de la rosée du ciel, que leurs membres sont libres, et que leur existence se passe sous les arbres des grands chemins. Hélas ! il est d’autres enfants soumis à un travail prématuré, et auxquels la fatigue donne toutes les infirmités de la vieillesse.

La principale course du jour avait eu lieu, et la foule longtemps contenue sur deux rangs le long du pourtour donnait une nouvelle vie au tableau en s’éparpillant dans l’enceinte.

Plusieurs salons de jeu s’étaient établis dans des baraques, avec leurs tapis somptueux, leurs tentures rayées, leurs tables couvertes de velours cramoisi, leurs vases de géranium et leurs domestiques en livrée. Il y avait là le cercle des Étrangers, le cercle de l’Athénéum, le cercle de Hampton, le cercle de Saint-James, et cinq cents autres cercles où l’on jouait à la roulette et à la merveille. C’est dans une de ces baraques que va continuer notre récit.

Elle était garnie de trois tables à jeu et remplie de joueurs et de curieux. La chaleur y était étouffante, quoiqu’on eût enlevé une partie de la couverture de toile, pour laisser l’air se renouveler, et qu’il y eût deux portes. Les joueurs étaient pour la plupart des jeunes gens attirés par la curiosité, et qui croyaient devoir risquer de petites sommes pour compléter les plaisirs du soir. En général, ils n’offraient rien de remarquable, excepté un ou deux, qui, l’argent à la main, jouaient à chaque tour avec une imperturbable tranquillité.

Deux des personnages présents avaient toutefois une physionomie bien tranchée. L’un était un homme de cinquante-six à cinquante-huit ans, assis auprès de la porte, le menton sur les mains, et les mains croisées sur la pomme de sa canne. Une re-