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NICOLAS NICKLEBY.

dans l’avenue qui mène de Petersham à Ham-House, et là nous choisirons le lieu du combat.

Le capitaine y consentit. Ils convinrent de la route que chacun devait prendre pour éviter les soupçons, et se séparèrent.

Adams communiqua ces arrangements au jeune lord.

— Nous aurons juste le temps, milord, ajouta-t-il, d’aller chez moi chercher une boite de pistolets, et puis nous nous en irons tranquillement. Vous me permettez de congédier votre domestique ; nous prendrons mon cabriolet, car peut-être le vôtre serait-il reconnu.

Quel contraste que celui de la rue avec le lieu qu’ils venaient de quitter ! L’aurore paraissait déjà, la clarté du jour succédait à la lueur jaunâtre des salons ; l’air frais et salubre remplaçait une atmosphère épaisse, imprégnée de l’odeur des lampes expirantes, et fumante de vapeurs alcooliques ; mais en passant sur la tête fiévreuse du jeune lord, le vent frais du matin semblait lui apporter le remords et le regret. La peau sèche, les yeux appesantis, le pouls agité, les pensées vagues et troublées, on eût dit qu’il voyait dans la lumière un reproche, et qu’il eût voulu cacher au jour l’épuisement de son corps et le désordre de son âme.

— Vous grelottez, dit le capitaine ; vous avez froid ? — Un peu. — L’air vous frappe quand on sort de ces salons. Enveloppez-vous dans votre manteau. Bien, comme ceci.

Ils galopèrent dans les rues désertes, se rendirent chez le capitaine, sortirent de la ville, et prirent la grande route sans être aucunement inquiétés.

Ils s’arrêtèrent à l’entrée de l’avenue, et descendirent, laissant le cabriolet aux soins du domestique, accoutumé presque autant que son maître à de pareilles scènes. Sir Mulberry et Westwood étaient déjà arrivés ; et tous quatre marchèrent en silence sous de grands ormeaux qui formaient une longue suite d’arceaux de verdure, dont l’extrémité se découpait sur le ciel comme une ruine gothique.

Après une courte conférence entre les deux témoins, ils tournèrent à droite, prirent un sentier, et s’arrêtèrent dans une prairie. On mesura le terrain, les deux combattants furent placés à la distance convenue, et pour la première fois sir Mulberry tourna la face vers son jeune adversaire. Sir Mulberry était très-pâle, ses yeux étaient d’un rouge de sang, ses habits en désordre, ses cheveux érissés, sans doute par l’effet de ses derniers excès. Sa physionomie n’exprimait que de violentes et mauvaises passions. Il ombragea ses yeux de sa main, regarda fixement son anta-