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NICOLAS NICKLEBY.

Arthur Gride. — C’est comme chez nous ; et beaucoup de mouches s’y laissent prendre aussi.

Newman parut enchanté de sa repartie, et, à la vive souffrance des nerfs d’Arthur Gride, il fit craquer les articulations de ses doigts avec un bruit pareil à celui d’une décharge de mousqueterie. Cependant Arthur parvint à achever sa lettre, et la remit à l’étrange messager.

— Voilà, monsieur Noggs.

Newman la mit dans son chapeau, et allait décamper, quand Gride, dont le ravissement ne connaissait plus de bornes, lui fit signe de revenir, et lui dit :

— Voulez-vous… voulez-vous prendre une goutte de quelque chose ?

Newman n’aurait pas voulu boire fraternellement avec Gride le vin le plus exquis du monde ; mais, pour le punir autant que possible, il accepta l’offre immédiatement.

Arthur Gride ouvrit donc l’armoire, et prit une bouteille poudreuse et deux verres à patte excessivement petits sur une planche chargée de verres de Flandre, de cruches hollandaises au cou de cigogne, et d’autres curiosités.

— Vous n’avez jamais goûté de ça ? dit Arthur ; c’est de l’eau d’or, de l’eau d’or. Je l’aime à cause de son nom. De l’eau d’or !

La rapidité et l’indifférence avec lesquelles Newman fit disparaître sa ration d’eau d’or produisit une vive impression sur le vieillard, qui le contempla la bouche ouverte et comme éperdu. Sans se déconcerter toutefois, Newman laissa Gride savourer à loisir sa liqueur, ou la remettre dans la bouteille, et partit après avoir grandement outragé la dignité de Peg Sliderskew, qu’il heurta au passage sans lui adresser la moindre excuse.

— Vous avez été longtemps, dit Ralph quand Newman fut de retour. — C’est lui qui a été longtemps. — Bah ! Donnez-moi son billet, s’il en a écrit un ; sinon, rendez-moi sa réponse verbale. Ne sortez pas ; j’ai un mot à vous dire.

Newman tendit la lettre, et prit un air d’innocence et de vertu pendant que son patron la lisait.

— Il me promet de venir, murmura Ralph en déchirant le billet, à quoi bon écrire pour cela ! Noggs, dites-moi, s’il vous plaît, quel est l’homme que j’ai vu avec vous dans la rue hier au soir ? — Je ne sais. — Faut-il vous rafraîchir la mémoire ? dit Ralph d’un ton menaçant. — Je vous dis, répliqua hardiment Newman, que je ne le connais pas du tout ; il est venu ici deux fois et vous a demandé, vous étiez sorti, il est revenu, vous l’avez mis à la porte. Il a donné le nom de Brooker.