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NICOLAS NICKLEBY.

Arthur se rendit chez Ralph, et lui raconta la scène de la veille en lui cachant seulement que le jeune étranger connût les motifs secrets du mariage.

— Il a essayé de vous faire peur, dit Ralph avec dédain, et vous avez eu peur, n’est-ce pas ? — Je l’ai effrayé en criant au meurtre et au voleur, et j’ai vraiment cru, un instant, qu’il en voulait à ma bourse. — Dites plutôt qu’il en voulait à votre future ; et quand vous serez marié enfermez-la, et surveillez-la avec soin. Mais, allons, l’heure de votre bonheur approche, vous allez me payer ce billet présentement, je suppose ? — Quel homme vous faites ! — Pourquoi pas ? d’ici à midi personne ne vous payera l’intérêt de l’argent, je pense. — Mais personne ne vous le payerait non plus, répondit Arthur regardant Ralph de travers avec toute la finesse dont il était capable. — Allons, si vous n’avez pas apporté l’argent, j’attendrai. Êtes-vous prêt ?

Gride répondit affirmativement, tira de son chapeau un paquet de faveurs blanches, en attacha à sa boutonnière, et décida, non sans peine, son ami à en faire autant. Ainsi accoutrés, ils montèrent dans une voiture de louage, et partirent pour la résidence de la malheureuse fiancée.

Gride, que son courage avait abandonné à mesure qu’ils approchaient de la maison, fut anéanti par le lugubre silence qui y régnait. Ils ne virent que la domestique, défigurée par les pleurs et l’insomnie. Il n’y avait personne pour les recevoir, et ils se glissèrent dans le salon, plutôt comme deux filous que comme un fiancé et son garçon d’honneur.

— On croirait, dit Ralph parlant involontairement à voix basse, qu’il y a ici un enterrement, et non pas une noce. — Hé ! hé ! hé ! vous êtes… vous êtes piquant. — Tant mieux, car nous avons besoin de nous égayer. Allons, quittez cet air maussade. — Oui, oui, mais… mais croyez-vous qu’elle paraisse bientôt ?

Ralph consulta sa montre.

— Je suppose, dit-il, qu’elle ne paraîtra que lorsqu’elle ne pourra pas faire autrement, et elle a encore une bonne demi-heure devant elle. Modérez votre impatience. — Je ne suis pas impatient, balbutia Arthur. Je ne voudrais pas la contrarier. Qu’elle prenne son temps, qu’elle prenne son temps.

En ce moment Bray lui-même entra sur la pointe du pied et la main levée.

— Silence ! dit-il à voix basse. Elle a passé une très-mauvaise nuit. Elle est habillée et pleure toute seule dans sa chambre ; mais elle va mieux, et elle se calme. — Elle est prête ? dit Ralph. — Tout à fait. — N’est-il pas à craindre qu’elle ne nous retarde par quelque faiblesse de jeune fille, par un évanouissement ?