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NICOLAS NICKLEBY.

avec la décence et le bon ton qu’eût pu déployer la meilleure société dans un bal du grand monde.

— Miss Knags, dit madame Mantalini, voici la jeune personne dont je vous ai parlé.

Miss Knags adressa à madame Mantalini un sourire respectueux, qu’elle sut rendre gracieux en dirigeant les yeux vers Catherine.

— Je crois que pour le moment, dit madame Mantalini, il vaut mieux que miss Nickleby vous accompagne au magasin, et fasse essayer les robes aux pratiques, autrement elle serait peu utile, et son extérieur… — Ira parfaitement avec le mien, dit miss Knags, et sans doute vous vous en êtes aperçue ; car vous avez tant de goût que vraiment, comme je le répète souvent aux ouvrières, je ne sais comment, où et quand vous avez pu acquérir tout ce que vous savez… hem !… miss Nickleby et moi faisons la paire, madame Mantalini ; seulement je crois que je suis un peu plus brune, et… hem !… je crois que mon pied est un peu plus petit.

Miss Knags avait coutume d’introduire dans le courant de sa harangue un hem perçant, clair et retentissant, dont le sens et la portée étaient diversement interprétés par ses connaissances ; elle était faible d’esprit et vaine, et de ces personnes dans lesquelles il ne faut pas avoir une confiance illimitée.

— Vous instruirez miss Nickleby des heures de travail, etc., dit madame Mantalini ; je vous la laisse ; vous n’oublierez pas mes ordres, miss Knags ?

Bien entendu que miss Knags répondit qu’oublier les ordres de madame Mantalini était chose moralement impossible ; cette dame souhaita un bonjour général à la compagnie, et s’en alla.

— Charmante créature, n’est-ce pas, miss Nickleby ? dit miss Knags en se frottant les mains. — Je l’ai très-peu vue, dit Catherine : je la connais à peine.

Après un moment de silence, durant lequel les jeunes personnes examinèrent attentivement la tournure de Catherine, l’une d’elle offrit de la débarrasser de son châle, et lui demanda si elle ne trouvait pas que le noir allait fort mal.

— Oui, répondit Catherine avec un soupir.

Il y a peu de gens qui n’aient perdu un parent ou un ami, leur seul appui dans la vie, sans ressentir douloureusement l’influence glaciale du noir vêtement. Catherine l’avait éprouvée, et ne put en ce moment retenir ses larmes.

— Je suis bien fâchée de vous avoir blessée par un discours irréfléchi, dit sa compagne. Je n’y songeais pas ; vous êtes en deuil de quelque proche parent. — De mon père, répondit Catherine en pleurant. — De quel parent, miss Simmonds ? de-