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NICOLAS NICKLEBY.

— Et quel est l’état de la caisse, bijou de mon existence ? dit ensuite Mantalini. Combien possédons-nous ? — Bien peu, en vérité. — Il faut augmenter ce peu, il faut faire escompter quelques billets au vieux Nickleby pour nous aider à soutenir la guerre. — Vous n’en avez pas besoin présentement. — Mon âme et ma vie, reprit le mari, il y a un cheval à vendre, et ce serait un crime de manquer cette occasion. On le donnera pour rien, délices de mes sens. — Pour rien ! s’écria Madame ; j’en suis enchantée. — Absolument pour rien ! on le laissera pour cent guinées. Il a la crinière, l’encolure, les jambes et la queue de la beauté la plus remarquable. Je le monterai au parc devant la voiture des comtesses repoussées ; la vieille douairière s’évanouira de douleur et de rage, les deux autres diront : Il est marié, il a disposé de lui ; c’est diabolique, il est perdu pour nous. Elles se détesteront l’une l’autre, et souhaiteront de vous voir morte et enterrée.

La prudence de madame Mantalini, si elle en avait, n’était pas à l’épreuve de ces peintures triomphales ; après avoir remué ses clefs, elle dit qu’elle allait voir ce que contenait son bureau, et, se levant dans cette intention, elle ouvrit un des battants de la porte, et entra dans la salle où Catherine était assise.

— Mon Dieu ! mon enfant ! s’écria madame Mantalini en reculant de surprise, comment vous trouvez-vous ici ? — Mon enfant ! s’écria Mantalini en se précipitant dans la salle : oh ! comment vous portez-vous ? — Voici quelques instants que je vous attends, Madame, dit Catherine ; le domestique a sans doute oublié de vous faire savoir que j’étais ici. — Il faut vraiment gronder cet homme, dit Madame en se tournant vers son mari ; il est d’une négligence… — Je lui aplatirai le nez pour avoir laissé seule une personne ici.

Apaisée par ce compliment, la maîtresse de maison tira de son bureau des papiers et les tendit à M. Mantalini, qui les reçut avec une joie bien vive. Elle pria ensuite Catherine de la suivre.

Madame Mantalini mena Catherine dans une vaste pièce sur le derrière, où il y avait une foule de jeunes filles occupées à coudre, tailler, rassembler les pièces d’étoffe, et à différents autres travaux qui ne sont connus que des experts dans l’art des modistes et des couturières ; la salle était tranquille et silencieuse, et éclairée par un vitrage.

Madame Mantalini appela miss Knags, et une petite femme, courte, empressée, habillée avec prétention, pleine d’importance, se présenta aussitôt. Toutes les jeunes personnes suspendirent leurs opérations, et se communiquèrent à voix basse plusieurs observations critiques sur miss Nickleby, son teint, ses traits, son costume,