Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/141

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— Quel diable d’original vous faites, Nickleby, dit le gentleman ; la plus diabolique de bonne tête, le plus singulier mélange de vieille monnaie d’or et d’argent que j’aie jamais vu de ma vie, sapristi ! »

Après avoir adressé ces compliments à Ralph, le gentleman sonna, toujours les yeux fixés sur Mlle Nickleby, jusqu’à ce qu’il eût donné au domestique qui se présenta l’ordre de demander sa maîtresse sur-le-champ ; après quoi il recommença ses exclamations jusqu’à l’apparition de Mme Mantalini.

La couturière était une femme de figure égrillarde, richement vêtue, d’assez bonne mine, mais beaucoup plus âgée que le monsieur au pantalon à la hussarde. Il n’y avait pas plus de six mois qu’elle l’avait épousé. Le nom de son mari était à l’origine Mantle ; mais, par une transition facile, il s’était changé bientôt en celui de Mantalini, la dame ayant observé avec beaucoup de justesse qu’un nom anglais lui ferait un tort sérieux dans son commerce. Il n’avait apporté à sa femme en mariage que sa paire de favoris, capital précieux sur lequel il avait vécu jusque là assez agréablement pendant nombre d’années. Il venait de s’enrichir, après de longues et patientes expériences, d’une paire de moustaches qui promettait de lui assurer une sorte d’indépendance. Jusqu’à présent, la seule part qu’il prît dans les travaux de la maison s’était bornée à dépenser l’argent que gagnait sa femme, et, de temps en temps, quand on était à court, à monter en voiture pour aller faire escompter, chez M. Ralph Nickleby, moyennant finance, les billets des pratiques.

« Ah çà, mon cœur, dit M. Mantalini, qui diable vous a donc tenue si longtemps ?

— Je ne savais pas même que M. Nickleby fût ici, mon cher, lui répondit madame.

— Alors, idole de mon âme, il faut que ce valet soit un diable d’infernal animal.

— Mon cher, répondit madame, c’est tout à fait votre faute.

— Ma faute ? joie de mon cœur !

— Certainement, fit-elle, mon très cher ; vous savez bien que vous n’en tirerez jamais rien avant de lui avoir administré quelque bonne correction.

— Une correction ? délices de mon âme !

— Je crois bien ! et soyez sûr qu’il a besoin qu’on lui parle un peu ferme, dit madame en faisant la moue.

— Allons, ne vous tourmentez pas ; on lui flanquera des coups de cravache jusqu’à ce qu’il crie comme un damné. »