Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/207

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ques habits de rechange dont il fit de l’argent, il se mit sur sa chaise à ruminer des projets pour son avenir, dont l’horizon n’était guère plus clair ni plus étendu que celui de sa fenêtre. Mais comme il ne gagnait rien à faire avec eux plus ample connaissance, et que la familiarité finit, comme on dit, par engendrer le mépris, il prit le parti de leur donner un congé définitif en faisant une bonne promenade. Il prit son chapeau, laissant le pauvre Smike faire des rangements à l’infini dans sa chambre avec autant de délices que s’il eût décoré un palais somptueux, puis alla courir les rues et se mêler à la foule qui les encombre.

Quoique ce soit une pensée bien faite pour rabattre chez un homme la confiance qu’il peut avoir dans son importance personnelle que de sentir son individu perdu au milieu d’une foule tout occupée de ses affaires, sans faire aucune attention à lui, il n’en reste pas moins dominé, malgré cela, par le sentiment toujours présent de l’importance et de l’exigence pressante de ses intérêts. Nicolas avait beau marcher au pas de course, il était poursuivi d’une seule pensée, il n’avait qu’une idée dans la tête, le soin de ses propres affaires, et, s’il cherchait à lui donner le change en songeant à la situation et aux nécessités des gens qui le coudoyaient en passant, il se surprenait presque aussitôt à comparer leur condition et la sienne, et à retomber dans l’éternel sujet de ses préoccupations.

Absorbé dans ces réflexions, il cheminait le long d’un des courants les plus fréquentés de la population de Londres, lorsqu’il leva les yeux par hasard sur un tableau bleu de ciel où se lisait en lettres d’or : « Bureau général de placement pour tous emplois et conditions de toute espèce. S’adresser ici. » C’était une boutique sur la rue avec imposte en toile métallique à la fenêtre, la porte dans le corridor, et, tout du long des vitres, une riche et séduisante collection d’écriteaux à la main promettant des places vacantes de tous les degrés, depuis celle de secrétaire jusqu’à celle de saute-ruisseau.

Nicolas, par un mouvement instinctif, fit une halte devant ce temple de la déesse Promesse et parcourut des yeux les annonces en caractères majuscules où toutes les carrières de la vie s’étalaient avec profusion. Quand il eut satisfait sa curiosité, il se remit en route, puis il revint sur ses pas, puis reprit sa course. À la fin, après s’être plusieurs fois arrêté irrésolu devant la porte du bureau général de placement, il prit bravement son parti et entra.

Il se trouva dans une petite pièce dont le carreau était recou-