Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/208

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vert d’une toile cirée. Dans un coin s’élevait un bureau séparé du public par un grillage : à ce bureau siégeait un jeune homme décharné avec des yeux égrillards et un menton en galoche. C’était à lui qu’étaient dus les écriteaux en majuscules qui interceptaient le jour de la fenêtre. Il avait tout ouvert devant lui un grand registre ; les doigts de sa main droite étaient passés dans les feuillets ; il tenait les yeux fixés sur une dame d’un riche embonpoint, coiffée d’une cornette, et dans laquelle il était facile de reconnaître la propriétaire de l’établissement : elle prenait un petit air de feu pendant que son secrétaire était dans l’attitude d’un homme qui n’attend plus que ses instructions pour chercher quelques renseignements contenus dans le volume garni de fermoirs rouillés.

Comme, parmi les annonces affichées dans la rue, il y en avait une qui faisait connaître au public que, de dix heures à quatre, on était toujours sûr de trouver là des servantes pour tout faire, prêtes à entrer en place, Nicolas vit bien tout de suite qu’une demi-douzaine de robustes jeunes filles, toutes ornées de leurs socques et de leur parapluie, et assises en rang dans un coin, sur une banquette, montaient leur faction dans ce but, d’autant plus que les pauvres femmes avaient l’air passablement ennuyé d’attendre en vain. Il n’était pas aussi sûr de la condition et des intentions de deux demoiselles assez éveillées qui faisaient auprès du feu la conversation avec la propriétaire, mais il ne fut pas longtemps dans le doute ; car, après qu’il se fut assis dans un coin, annonçant le désir d’attendre son tour, la dame grosse et grasse reprit le dialogue qu’il avait interrompu par son entrée dans la salle.

« Cuisinière, Tom, dit-elle sans se déranger et continuant de prendre un petit air de feu en relevant sa robe.

— Cuisinière, dit Tom feuilletant quelques pages du registre ; j’y suis.

— Lisez-nous une ou deux bonnes places, dit la grosse dame.

— Choisissez-en où il n’y ait pas grand’chose à faire, s’il vous plaît, jeune homme, demanda une petite femme d’assez bonne tournure, en bottines écossaises, qui paraissait être intéressée à la chose.

— Mme Marker, dit Tom lisant dans son registre, place Russell, Russell-square ; gages 450 fr, le thé et le sucre. Deux maîtres ; on reçoit peu de monde. Il y a quatre domestiques : pas d’hommes. On ne laisse pas entrer les pays.

— Ah ! ciel ! dit la petite cliente qui avait bien envie de rire,