Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/213

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leur clapotage. Manchester ressemble assez bien à ces engins pour prendre les anguilles qui n’ont d’autre issue que leur bouche en forme d’entonnoir, ou à ces bouteilles de matelot, au goulot court et étroit ; et, à cet égard, on pourrait y voir l’image fidèle de la destinée réservée à quelques-uns de ses infortunés habitants qui, après s’être tortillés dans le Parlement en toutes sortes de contorsions et d’efforts violents, trouvent, au bout du compte, qu’ils se sont enfoncés dans un cul-de-sac qui ne mène à rien, absolument comme cité Manchester qui n’aboutit qu’à elle-même ; trop heureux, quand ils peuvent en sortir sans autre encombre que de se retrouver aussi incapables, aussi gênés, aussi obscurs qu’ils y étaient entrés.

Nicolas pénétra donc dans cité Manchester avec l’adresse du grand monsieur Gregsbury. En voyant un flot d’individus se précipiter dans une maison voisine de chétive apparence, il attendit qu’ils se fussent écoulés ; puis, se présentant au domestique qui gardait la porte, il prit la liberté de lui demander s’il savait où demeurait M. Gregsbury ? Le domestique était un garçon dont la pâleur et l’extérieur misérable pouvaient faire croire que, depuis son bas âge, il n’avait jamais couché que dans le sous-sol, et ce n’était que trop vrai.

« M. Gregsbury ? dit-il. C’est ici que demeure M. Gregsbury. C’est bon ; vous pouvez entrer. »

Nicolas ne se le fit pas dire deux fois ; et il ne fut pas plutôt entré, que le garçon ferma la porte et disparut.

La réception était assez singulière ; mais ce qu’il y avait de plus embarrassant, c’est que, tout le long du corridor et tout le long de l’étroit escalier qui masquait la fenêtre, et rendait plus sombre encore l’entrée obscure de la maison, était une masse confuse de personnages dont les figures annonçaient une mission importante. Ils avaient l’air d’attendre, avec une impatience silencieuse, quelque événement intéressant. De temps en temps, l’un d’eux parlait à l’oreille de son voisin ; ou bien un petit groupe se réunissait pour se parler ensemble à l’oreille ; ou bien ces parleurs mystérieux se faisaient l’un à l’autre des signes de tête résolus, ou la secouaient d’un air déterminé, comme s’ils étaient décidés à faire quelque scène et à ne pas se laisser ébranler, quoi qu’il pût arriver.

Quelques minutes s’écoulèrent sans que rien ne pût expliquer cette énigme ; et déjà Nicolas, qui se trouvait mal à son aise dans cette situation équivoque, allait prendre quelque information près de son voisin, lorsqu’un mouvement subit se manifesta au haut de l’escalier, et l’on entendit une voix crier :