Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/222

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— Surtout, en pareil cas, vous ne devez jamais oublier, là où nos intérêts ne peuvent pas en souffrir, de parler souvent du peuple, parce que c’est d’un merveilleux effet à l’époque des élections. Ce n’est pas comme les auteurs, dont vous pouvez rire tout à votre aise, vu que la plupart d’entre eux vivent en garni et par conséquent n’ont pas le droit de voter. Voilà donc un aperçu rapide des points principaux qui intéressent vos fonctions, excepté que vous auriez à rester tous les soirs dans les couloirs de la Chambre, dans le cas où j’aurais oublié quelque chose et où il faudrait me la remonter à nouveau. Vous feriez bien encore, pendant les grands débats de la Chambre, d’aller de temps en temps vous asseoir sur les premiers bancs des tribunes pour dire à vos voisins : Voyez-vous ce gentleman qui porte sa main droite à la figure et qui embrasse de la gauche le pilier en face de nous ? C’est M. Gregsbury, le célèbre M. Gregsbury. Il ne vous en coûterait pas davantage d’y joindre quelque petit éloge d’après l’inspiration du moment. Pour salaire, ajouta M. Gregsbury tournant bride avec une grande rapidité, car il était presque hors d’haleine ; pour salaire, je peux vous le dire tout de suite en nombre rond pour éviter tout mécompte. Quoique ce soit plus que je n’ai l’habitude de donner, ce sera dix-huit francs soixante-quinze centimes par semaine, en tout. Voilà ! »

Après cette offre magnifique, M. Gregsbury se rejeta de nouveau en arrière dans son fauteuil, comme un homme qui se reproche de faire des folies, mais qui n’en est pas moins décidé à ne point revenir sur ses libéralités excessives.

« Dix-huit francs soixante-quinze centimes par semaine. Ce n’est pas beaucoup, dit Nicolas timidement.

— Pas beaucoup ? dix-huit francs soixante-quinze centimes par semaine ? pas beaucoup, jeune homme ? cria M. Gregsbury. Dix-huit francs soixante-quinze par…

— Je serais fâché que vous puissiez croire, reprit Nicolas, que je veux marchander votre prix, car je vous avouerai sans honte que, si modique qu’il puisse être en lui-même, c’est encore beaucoup pour moi. Mais, les devoirs et la responsabilité des fonctions sont tellement hors de proportion avec le traitement, et ils me paraissent si laborieux, que je crains de m’y dévouer.

— Est-ce un refus, monsieur ? demanda M. Gregsbury portant la main au cordon de la sonnette.

— J’ai peur, monsieur, quelle que soit ma bonne volonté, que ce ne soit au-dessus de mes forces, répondit Nicolas.

— Mieux vaudrait dire tout de suite que vous n’acceptez pas