Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/227

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prêt à l’écouter, dit le percepteur prenant l’air d’un critique profond, consommé.

— Comment trouvez-vous le français, monsieur ?

— Qu’entendez-vous par là, monsieur ? demanda Nicolas.

— Trouvez-vous, monsieur, que ce soit une bonne langue, une jolie langue, une langue raisonnable ?

— Pour être une jolie langue, je n’en fais aucun doute, répliqua Nicolas ; et pour être une langue raisonnable, je le présume, car elle a des mots pour désigner toutes choses, et des ressources de conversation élégantes sur toutes les matières.

— Je ne sais pas trop, dit M. Lillyvick d’un air capable, trouvez-vous aussi que ce soit une langue gaie ?

— Oui, reprit Nicolas, et très gaie assurément.

— En ce cas, il faut qu’elle ait bien changé, dit le percepteur, car elle ne l’était guère de mon temps.

— Est-ce qu’elle était triste de votre temps ? demanda Nicolas qui avait peine à réprimer un sourire.

— Très triste, dit M. Lillyvick avec un mouvement d’humeur ; je parle du temps de la dernière guerre. Je veux bien que ce soit une langue gaie, je serais bien fâché de contrarier personne ; tout ce que je puis dire, c’est que j’ai entendu souvent les prisonniers français, et ceux-là étaient nés en France et devaient savoir leur langue, parler ensemble d’un air si triste que cela faisait peine à voir. Pour cela, je l’ai vu plus de cinquante fois, monsieur, plus de cinquante fois… »

M. Lillyvick s’enflammait tellement, que Mme Kenwigs crut sage de faire signe à Nicolas de ne rien dire ; et il fallut toutes les petites cajoleries mises en usage avec le bon vieux gentleman par miss Petowker pour qu’il se résignât à sortir de son silence boudeur, en disant : « Comment dit-on water en français, monsieur ?

— De l’eau, répliqua Nicolas.

— Ah ! dit M. Lillyvick en hochant tristement la tête ; je m’en doutais : de lo, L O ; ah bien ! voilà une langue dont je n’ai pas grande idée, pas grande idée.

— Je suppose, mon oncle, que les enfants peuvent commencer, n’est-ce pas ? dit Mme Kenwigs.

— Oh ! certainement, vous pouvez les faire commencer, ma chère, repartit le percepteur d’un air mécontent ; ce n’est pas moi qui les en empêcherai. »

Profitant de la permission, les quatre demoiselles Kenwigs s’assirent en rang avec toutes leurs queues rangées aussi en bataille du même côté, Morleena en tête, pendant que Nicolas prit