Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/237

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nir d’elle de plus amples renseignements, se vit, à son grand regret, contrainte elle-même à commander le silence, en ordonnant à ces demoiselles de continuer leur ouvrage.

Elles se remirent donc à travailler en silence jusqu’à une heure et demie ; alors on leur servit, dans la cuisine, un gigot de mouton cuit au four, avec des pommes de terre pour second plat. Quand le dîner fut fini, et que les demoiselles eurent pris en outre, comme récréation, le temps de se laver les mains, on se remit encore à l’ouvrage, encore en silence, jusqu’à l’heure où le roulement des voitures dans les rues et le bruit des doubles coups frappés aux portes avec le marteau annoncèrent que les membres plus heureux de la société allaient commencer à leur tour le travail de leur journée.

Un de ces doubles coups frappés à la porte de Mme Mantalini annonçait l’équipage d’une grande dame, ou plutôt d’une dame riche, car il ne faut pas confondre la richesse et la grandeur. Elle venait avec sa fille essayer un costume de cour depuis longtemps commencé. Catherine fut déléguée pour habiller ces dames, sous la direction de Mlle Knag et, comme de raison, d’après les ordres de Mme Mantalini. Le rôle de Catherine dans cette cérémonie n’était pas très éclatant, vu que ses fonctions se bornaient à tenir chacune des pièces d’habillement toutes prêtes à Mlle Knag pour les essayer. De temps en temps cependant on lui permettait de nouer un cordon ou d’accrocher une agrafe. À raison même de l’humilité de son ministère, elle pouvait se croire à l’abri de tout traitement malhonnête et de tout témoignage de mauvaise humeur : mais il se trouva que la dame et sa fille étaient mal disposées ce jour-là, et la pauvre enfant fut la victime de leurs rebuffades. « Comme cette demoiselle est maladroite, comme ses mains sont froides, comme elles sont laides, comme elles sont rudes ! elle ne sait rien faire. Je m’étonne que Mme Mantalini garde des gens comme cela chez elle. Nous espérons bien que la prochaine fois on ne la chargera plus de nous habiller, » et ainsi de suite.

Un détail si ordinaire ne mériterait guère de trouver ici sa place, n’était l’effet qu’il produisit. Catherine, après leur départ, versa tant de larmes amères et, pour la première fois, se trouva si humiliée de son métier ! Elle avait préparé son âme à tous les caprices de ses supérieurs, à toutes les exigences d’un travail pénible, c’est vrai ; mais elle ne se trouvait point jusque-là déshonorée de travailler pour gagner son pain. Il lui manquait encore de se voir ainsi blessée par l’insolence et l’orgueil. Avec un peu de philosophie, elle se fût dit que le déshon-