Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/236

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et se communiquèrent le résultat de leurs observations, une d’elles offrit de la débarrasser de son châle, et, en l’aidant à le défaire, lui demanda si elle ne trouvait pas que le noir était bien désagréable.

« Oh ! sans doute, répondit Catherine avec un soupir amer.

— C’est si chaud et si salissant, » continua celle-ci, en tirant sa robe pour l’ajuster par devant.

C’est si chaud ! Ah ! Catherine aurait pu dire que quelquefois, au contraire, il n’y a pas de costume plus froid que le deuil ; qu’il n’est pas froid seulement au cœur de celui qui le porte, mais que son influence s’étend jusque sur les amis les plus chauds : qu’il glace la source de leur bonne volonté et de leur bienveillance prétendue ; qu’il gèle dans leurs germes ces promesses fleuries dont ils étaient prodigues, et ne laisse plus rien sur la branche qu’un bouton flétri et gâté dans le cœur. Combien il y a peu de gens qui aient perdu un parent ou un ami, leur seule ressource dans ce monde, sans avoir cruellement ressenti cette influence glaciale de leurs habits noirs ! Elle, la pauvre Catherine, elle l’avait ressentie cruellement, elle la ressentait encore dans ce moment, et c’est ce qui fit couler ses larmes malgré elle.

« Je suis bien fâchée de vous avoir fait de la peine sans le vouloir, lui dit sa compagne. Je n’y ai pas pensé du tout. Vous avez perdu quelque proche parent ?

— Mon père, répondit Catherine.

— Quel parent, miss Simmonds ? demanda Mlle Knag à haute voix.

— Son père, répliqua l’autre doucement.

— Son père ! ah ! dit Mlle Knag, toujours d’une voix aussi éclatante ; ah ! a-t-il été longtemps malade, mademoiselle Simmonds ?

— Chut ! je n’en sais rien, répondit la jeune fille.

— Non, dit Catherine en se retournant ; notre malheur a été subit ; sans cela j’aurais été peut-être mieux préparée à supporter la triste position où nous sommes. »

Selon une coutume invariable dans le magasin de Mme Mantalini, Catherine, en sa qualité de nouvelle venue, avait excité une grande curiosité ; on voulait savoir qui elle était, ce qu’elle était, ce qui l’intéressait. Cependant, quoique son extérieur et son émotion eussent dû naturellement ajouter encore à ce sentiment de curiosité, il suffit à ses compagnes de voir que leurs questions lui faisaient de la peine, pour leur imposer plus de réserve ; et Mlle Knag, désespérant pour le moment d’obte-