Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/297

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne me cachez rien ; j’aurai le courage de tout entendre. Est-ce les nerfs ? — Mon brave monsieur, m’a-t-il répondu, soyez fier d’avoir une telle femme, et choyez-la bien. C’est un ornement pour la société distinguée comme pour vous. Elle n’a mal qu’à l’âme ; c’est l’âme qui, chez elle, se gonfle, s’épanche, se dilate. Alors son sang s’allume, son pouls s’accélère, son excitation redouble, — atchi. » C’est que M. Wititterly, qui, dans le feu de sa description, avait balancé sa main dans les airs à quelques lignes du chapeau de Mme Nickleby, l’avait tout à coup retirée brusquement pour se moucher avec un bruit aussi terrible que celui du ronflement que ferait une machine de la force de trente chevaux.

« Vous me faites plus étrange que je ne suis, Henri, dit Mme Wititterly avec un faible sourire.

— Non pas, Julia, non pas ! La société dans laquelle vous entraînent nécessairement votre rang, vos relations, vos mérites, est un gouffre, un tourbillon d’une effrayante activité pour exciter votre sensibilité. Dieu du ciel ! quand je pense à cette soirée où vous dansâtes avec le neveu du baronnet au bal d’Exeter ! Il y a de quoi faire frémir.

— Il n’y a pas un seul de ces triomphes que je ne paye bien plus cher après.

— Et c’est justement pour cela qu’il vous faut une dame de compagnie dont le caractère vous présente une grande tranquillité, une grande douceur, une excessive sympathie, un repos parfait. »

Ici, M. et Mme Wititterly, dont la conversation s’adressait surtout, sans en avoir l’air, aux dames Nickleby, cessèrent leur dialogue, et regardèrent leur auditoire d’un air qui voulait dire : « Hein ! qu’est-ce que vous dites de cela ? »

« Mme Wititterly, dit son mari en s’adressant directement à Mme Nickleby, est recherchée et courtisée par les réunions les plus brillantes, les cercles les plus à la mode. Elle est impressionnée par l’opéra, le drame, les beaux-arts, le… le… le…

— La noblesse, mon cher ami.

— La noblesse, cela va sans dire, et le militaire. Elle se forme sur une immense variété de sujets, une immense variété d’opinions qu’elle énonce avec une immense variété d’expressions. Il y a bien des gens, dans le grand monde, s’ils savaient l’opinion que Mme Wititterly a conçue de leur personne, qui ne porteraient pas la tête si haute.

— Henri, en voilà assez : ce n’est pas bien dit la dame.

— Je ne cite aucun nom, Julia, répliqua M. Wititterly : ainsi