Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/320

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danser toute seule ; mais quelle danse ! Le sauvage en est en extase tout le temps, et, quand c’est fini, il va décrocher d’un arbre du voisinage quelque curiosité botanique, assez semblable à un cornichon confit et l’offre à la jeune fille. Elle commence par faire des façons, mais en voyant le sauvage verser des larmes, elle est attendrie. Alors le sauvage bondit de joie. Alors la jeune fille bondit de bonheur, en respirant le doux parfum du cornichon confit. Alors le sauvage et la jeune fille dansent ensemble avec fureur, et, finalement, le sauvage tombe sur un genou, la jeune fille monte sur son autre genou et s’y tient droite sur une jambe ; finissant ainsi le ballet et laissant à dessein les spectateurs dans un état d’incertitude charmante si elle célèbrera décidément son mariage avec le sauvage, ou si elle retournera chez son papa.

« Très bien, à merveille, dit M. Crummles, bravo !

— Bravo ! cria Nicolas résolu à voir le beau côté des choses. Magnifique !

— Voici, monsieur, dit M. Vincent Crummles, lui présentant la jeune fille, voici l’enfant phénoménal, Mlle Ninette Crummles.

— Votre fille ? demanda Nicolas.

— Ma fille, ma fille, répondit M. Vincent Crummles, l’idole de toutes les villes où nous allons, monsieur. Nous avons reçu en son honneur des lettres de compliment de la noblesse de tous les degrés dans presque tous les bourgs d’Angleterre.

— Je n’en suis pas surpris du tout, dit Nicolas ; il faut que ce soit naturellement un vrai génie.

— Oh ! c’est un !… M. Crummles ne put pas aller plus loin ; il ne trouva pas dans la langue de mots assez énergique pour définir l’enfant phénoménal. Je vais vous dire, monsieur, ajouta-t-il, le talent de cette enfant est inimaginable. Il faut la voir ; oui, il faut la voir pour s’en faire une faible idée. Là ! là ! ma fille, allez retrouver votre mère.

— Peut-on savoir quel âge elle a ? » demanda Nicolas.

M. Crummles fixa ses yeux sur la figure de Nicolas à cette question, comme le font d’habitude certaines gens avant de répondre quelque chose qu’ils regardent eux-mêmes comme incroyable. « Eh bien ! monsieur, elle a dix ans.

— Pas plus ?

— Pas un jour de plus.

— Ma parole, dit Nicolas, c’est extraordinaire. »

C’était extraordinaire, en effet ; car l’enfant phénoménal, malgré sa petite taille, avait une figure comparativement un peu vieillotte ; et d’ailleurs on lui avait toujours connu exactement le