Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/323

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rendait, pendant quelques secondes, son attitude naturelle, c’était pour se mettre en garde, pousser une ou deux bottes dans les coulisses, à tous les objets animés ou inanimés que le hasard envoyait sous sa main pour servir de plastron à ses coups.

« Eh bien ! Tommy, dit-il, en portant une botte à son ami qui la para adroitement avec sa pantoufle, quelles nouvelles ?

— Un nouveau venu, voilà tout, répondit M. Folair, en regardant Nicolas.

— Faites donc les honneurs, Tommy, faites donc les honneurs, dit l’autre, en lui donnant d’un ton de reproche un petit coup du bout de sa canne sur le chef.

— Vous voyez M. Lenville, notre premier tragique, monsieur Johnson, dit l’artiste en pantomimes.

— Excepté pourtant quand il prend fantaisie au vieux patapouf de me remplacer en personne ; vous n’auriez pas dû oublier ça, Tommy. Vous savez, monsieur, je suppose, ce que nous entendons par le vieux patapouf ?

— Non, je ne comprends pas, répondit Nicolas.

— C’est Crummles, à qui nous donnons ce nom-là, pour rappeler son jeu lourd et pesant. Mais, pas de bêtises, je n’ai pas le temps de rire, il m’est tombé sur la tête un rôle de douze feuilles pour demain soir, et je n’y ai pas encore jeté les yeux ; heureusement que j’ai une facilité diabolique ; c’est ce qui me console. »

Consolé par cette réflexion, M. Lenville tira de sa poche un manuscrit crasseux et chiffonné, poussa encore une botte à son ami, et se mit à marcher de long en large, se répétant par cœur son rôle à lui-même, sans oublier les gestes et les poses appropriés à la circonstance que pouvaient lui inspirer le texte ou son imagination.

Pendant ce temps-là, la troupe était presque au grand complet. Outre M. Lenville et son ami Tommy, était maintenant présent à l’appel un jeune homme élancé, aux yeux langoureux, qui jouait les amoureux découragés et chantait les airs de ténor ; il venait d’arriver, bras dessus bras dessous, avec le Jocrisse de la bande. Celui-là avait le nez retroussé, une bouche comme un four, une figure plate, des yeux hébétés. Près de l’enfant phénoménal, auquel il faisait une cour assidue, se tenait un vieux monsieur, un peu en goguette, râpé jusqu’à la corde : c’était lui qui jouait les vieillards sereins et vertueux. Mme Crummles avait aussi à ses côtés un vieux monsieur plein d’attentions pour elle ; sa tenue n’était pas tout à fait si ignoble, c’était lui qui jouait les vieillards moroses, vous savez, ces vieux grognards