Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/33

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nant avec sa chaise et toisant son neveu des pieds à la tête avec un souverain mépris.

— Nicolas va avoir dix-neuf ans, répliqua la veuve.

— Dix-neuf ! Eh ! dit Ralph, et comment comptez-vous gagner votre pain, monsieur ?

— Sans vivre aux dépens du revenu de ma mère, répliqua Nicolas le cœur gros.

— Vous ne vivriez toujours pas aux dépens de grand’chose, riposta l’oncle avec un coup d’œil de dédain.

— Si petit qu’il soit, dit Nicolas rouge de colère, ce n’est pas à vous que je m’adresserai pour l’augmenter.

— Nicolas, mon cher, maîtrisez-vous, dit Mme Nickleby avec inquiétude.

— Mon cher Nicolas, je t’en prie, disait la jeune fille avec tendresse.

— Vous ferez mieux de vous taire, monsieur, dit Ralph ; par ma foi, voilà un beau début, madame Nickleby, un beau début ! »

Mme Nickleby, sans répliquer, fit un geste suppliant à Nicolas pour qu’il se tînt tranquille : et l’oncle et le neveu se dévisagèrent l’un l’autre pendant quelques secondes sans dire un mot. La figure du vieux était sombre, ses traits durs et repoussants. La physionomie du jeune homme était ouverte, belle et généreuse. Les yeux du vieux pétillaient d’avarice et d’astuce. Ceux du jeune homme brillaient de l’éclat d’une ardeur vive et intelligente. Toute sa personne était un peu délicate, mais virile et bien prise, et, sans parler de la beauté pleine de grâce que donne la jeunesse, il y avait dans son port et dans son regard une étincelle du feu qui animait son jeune cœur et qui tenait en respect le vieux rusé.

Combien un tel contraste, tout saisissant qu’il peut être pour ceux qui en sont témoins, est-il plus saisissant encore pour celui des deux adversaires qui se sent atteint et frappé dans son infériorité. C’est un trait aigu qui lui perce et lui pénètre l’âme. Ralph le sentit descendre au fond de son cœur ; sa haine pour Nicolas data de ce moment décisif.

Ce regard fixe et provoquant ne pouvait pas durer toujours. Ce fut Ralph qui céda : il détourna les yeux avec un dédain affecté, en appelant Nicolas un mioche. C’est un mot de reproche dont les hommes plus âgés font quelquefois usage avec la jeunesse : peut-être veulent-ils par là faire croire à la société (qui ne s’y trompe pas) que, s’ils pouvaient redevenir jeunes, ils en seraient bien fâchés.

« Eh bien ! madame, dit Ralph avec impatience, les créanciers