Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/34

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ont tout saisi, m’avez-vous dit, et il ne vous reste rien du tout ?

— Rien, répliqua Mme Nickleby.

— Et vous avez dépensé le peu d’argent que vous aviez pour venir voir à Londres ce que je pourrais faire pour vous ?

— J’espérais, dit Mme Nickleby d’une voix défaillante, que vous seriez à même de faire quelque chose pour les enfants de votre frère. J’obéissais au vœu qu’il m’avait exprimé à son lit de mort, en venant faire appel à la bonté de votre cœur en leur faveur.

— Je ne sais pas comment cela se fait, murmura Ralph en se promenant de long en large dans la chambre ; mais toutes les fois qu’un homme meurt sans laisser de bien, il croit toujours avoir le droit de disposer de celui des autres. À quoi votre fille est-elle bonne ? madame.

— Catherine a été bien élevée, dit avec un soupir Mme Nickleby. Dites à votre oncle, mon enfant, jusqu’où vous êtes allée dans le français et les arts d’agrément. »

La pauvre fille allait hasarder quelques mots, quand son oncle lui coupa la parole sans cérémonie.

« Il faut que nous essayions de vous mettre en apprentissage dans quelque institution, dit-il ; vous n’avez pas été élevée, j’espère, trop délicatement pour cela ?

— Non certainement, mon oncle, répéta la jeune fille en pleurant ; je suis résolue à faire tout ce qui peut me procurer un abri et du pain.

— C’est bon, c’est bon, dit Ralph un peu radouci, soit par la beauté de sa nièce, soit par pitié pour son malheur (pensez l’un et dites l’autre) ; vous en essayerez, et si l’épreuve est trop rude pour vous, peut-être supporterez-vous mieux les travaux du tambour et de l’aiguille. » Puis, se tournant du côté de son neveu : « Et vous, monsieur, avez-vous jamais fait quelque chose ?

— Non, répondit brusquement Nicolas.

— Non ? J’en étais sûr, dit Ralph. C’est donc comme cela que mon frère élevait ses enfants, madame ?

— Il n’y a pas longtemps que Nicolas a achevé l’éducation qu’a pu lui donner son pauvre père, qui songeait à…

— À faire de lui quelque jour quelque chose, dit Ralph ; je connais cela : c’est une vieille histoire ; on songe toujours, on ne fait jamais. Si mon frère avait été un homme actif et prudent, il vous aurait laissee riche, madame. Et s’il avait lancé son fils dans le monde, comme mon père l’a fait avec moi, quoique je fusse plus jeune que ce garçon-là au moins de dix-huit mois,