Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/345

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la plus jeune des demoiselles Borum, qui ne s’était pas contentée de chiper le petit parasol vert du phénomène, mais qui maintenant voulait l’emporter tout à fait pour son usage particulier, pendant que la malheureuse Ninette regardait d’un œil triste disparaître sa propriété.

« Mais où donc avez-vous pu apprendre tout ce que vous savez faire ? dit l’excellente Mme Borum en s’adressant encore à miss Snevellicci. Je ne comprends pas… Emma, n’ouvrez donc pas des grands yeux hébétés comme cela… que vous puissiez rire dans une pièce, pleurer dans l’autre, et tout cela d’une façon si naturelle. Cela me dépasse.

— Je suis bien heureuse, madame, dit Mlle Snevellicci, de vous entendre exprimer une opinion qui m’est si favorable. C’est un vrai bonheur pour moi de penser que j’aie pu vous plaire.

— Me plaire ! cria Mme Borum ; et à qui donc cela ne plairait-il pas ? Moi, j’irais volontiers au spectacle deux fois par semaine ; j’en raffole. Seulement, je trouve que vous êtes quelquefois trop attendrissants. Ciel ! dans quel état vous me mettez ! Que de larmes vous me faites répandre !… Mais, au nom du ciel ! miss Lane, comment pouvez-vous les laisser tourmenter cette petite fille comme cela ? »

La vérité est que le phénomène se voyait à la veille d’être écartelée. Il y avait déjà deux robustes petits garçons qui l’avaient saisie chacun par une main et la tiraient en sens contraire pour essayer leurs forces. Heureusement, miss Lane, qui avait à se reprocher d’avoir été trop occupée à regarder les grands personnages pour faire attention aux petits, avertie par la réprimande de Mme Borum, arracha la malheureuse enfant à cette torture, la restaura avec un verre de vin, et bientôt le phénomène fut emmenée par sa société, heureuse d’en être quitte pour emporter de là son chapeau de gaze lilas un peu aplati, et sa robe blanche, ainsi que son pantalon, considérablement allongé par quelques solutions de continuité.

Ce fut une matinée assommante. Il y avait tant de visites à faire, et chacune des personnes visitées avait tant de choses différentes à demander ! L’un voulait des tragédies, l’autre des comédies.

« Surtout, pas de danse, disaient les uns.

— Il n’y a que cela d’amusant, » disaient les autres.

Ici, le chanteur comique avait décidément baissé beaucoup ; là, on espérait bien qu’on lui donnerait un rôle plus long qu’à l’ordinaire. Il y avait des gens qui ne voulaient pas promettre d’y