Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/416

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était de voir que son adversaire ne se montrait pas aussi effrayé qu’il s’y était attendu, ce qui lui fit faire tout court une halte assez maladroite, aux grands éclats de rire des dames assemblées.

« Vil objet de ma colère et de ma haine, dit M. Lenville, vous êtes trop heureux que je vous méprise. »

Nicolas, qui ne s’attendait pas à lui voir jouer sérieusement la comédie, se mit à rire à cœur joie, et les dames, pour l’encourager, de rire bien plus fort, ce qui donna à M. Lenville l’occasion de prendre son sourire le plus amer et d’exprimer son opinion : qu’elles n’étaient toutes que des poupées.

« Mais ce ne sont pas elles qui vous sauveront de mon courroux, dit le tragédien portant sur Nicolas un regard qui commença à la pointe de ses bottes et finit à la pointe de ses cheveux, pour redescendre de la pointe de ses cheveux à la pointe de ses bottes. Ce regard en partie double a, comme tout le monde le sait, le privilège d’exprimer les défis sur la scène. Non ! elles ne vous sauveront pas, mioche ! »

Et M. Lenville se croisa les bras et regarda Nicolas avec cette expression de physionomie dont il avait l’habitude dans ses rôles mélodramatiques, toutes les fois que le tyran obligé de la pièce prononçait ces mots : « Qu’on l’entraîne au donjon, dans le cachot le plus profond des souterrains du château. » Quand ce regard était accompagné d’un petit cliquetis des fers de la victime, il n’avait jamais manqué de faire un très bel effet dans son temps.

Mais, cette fois, soit à cause des fers qui étaient absents, soit autrement, le regard terrible de M. Lenville ne fit pas d’autre effet sur son adversaire que de redoubler sa bonne humeur et son envie de rire. Un ou deux messieurs, qui n’étaient venus positivement que pour voir tirer Nicolas par le bout du nez, commencèrent à trouver le temps long et à murmurer que, si on avait en effet l’intention de faire quelque chose, il valait mieux en finir ; et que, si M. Lenville ne voulait rien faire du tout, il n’avait qu’à le dire, au lieu de les tenir là le bec dans l’eau. Voyant qu’il n’y avait pas moyen de reculer, le tragédien releva le parement de sa manche droite, pour accomplir en règle l’opération annoncée, et s’avança d’un pas majestueux près de Nicolas, qui le laissa approcher à distance raisonnable, sans montrer la moindre émotion, et le flanqua par terre d’un coup de poing.

Le tragédien déconfit était encore étendu de tout son long sur le dos, quand Mme Lenville (on se rappelle que cette