Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/415

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conversation est toujours si poli, et vous savez vous faire si bien venir auprès des dames, que personne de nous ne vous a supposé l’idée de faire mine de résister. Mais, dans ce cas-là même, il a en réserve quelque moyen de se tirer d’affaire aisément, soyez-en sûr.

— Oui ? reprit Nicolas ; eh bien, nous le verrons demain matin, pas plus tard. En attendant, je vous laisse maître de raconter notre entrevue comme il vous plaira ; bonsoir. »

Comme M. Folair était bien connu parmi ses camarades pour un homme qui n’avait pas grands scrupules, et qui ne se plaisait qu’à faire du mal, Nicolas n’avait pas douté un moment que ce ne fût lui qui eût en secret soufflé le feu, et que de plus il ne fût disposé à s’acquitter de sa mission avec beaucoup de hauteur, s’il n’avait pas été tout de suite déconcerté par l’accueil inattendu qu’il avait reçu. Mais, comme il ne valait pas la peine qu’on le prît au sérieux, Nicolas congédia ce pantomime en faisant entendre gentiment que, s’il recommençait à l’insulter, il pouvait s’attendre à se voir casser la tête. M. Folair, tout à fait reconnaissant de cet avertissement utile, se remit en route pour aller conférer avec son ami M. Lenville, et lui raconter les circonstances de sa mission de la manière la plus propre à laisser continuer la plaisanterie.

Il faut croire qu’il lui avait rapporté que Nicolas avait reçu le cartel en tremblant de tous ses membres, car le lendemain matin, lorsqu’il se rendit au théâtre à l’heure accoutumée, sans hésiter le moins du monde, il trouva toute la troupe assemblée, dans l’attente évidente de quelque événement, et M. Lenville, assis majestueusement sur une table, sifflant en matière de défi avec la figure la plus tragique qu’il avait pu trouver dans son répertoire.

Or, les dames étaient du parti de Nicolas, mais les messieurs, tous plus ou moins jaloux, étaient de celui du tragédien déconfit. Les derniers formaient donc un petit groupe autour du redoutable M. Lenville, et les premières se tenaient à une petite distance, donnant des signes d’agitation et d’anxiété. Quand Nicolas s’arrêta devant elle pour les saluer, M. Lenville poussa un éclat de rire insultant, et fit en passant quelques remarques générales sur l’histoire naturelle des roquets.

« Ah ! dit Nicolas se retournant tranquillement pour le regarder, c’est vous ?

— Esclave ! » répliqua M. Lenville faisant un geste avec son bras droit, et s’approchant de Nicolas par une enjambée théâtrale. Il n’alla pas plus loin pour le moment, tout étonné qu’il