Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/430

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mais dans les réunions particulières, il les pratiquait toutes trois, passant de l’une à l’autre avec une rapidité de transition souvent embarrassante pour ceux qui n’avaient pas l’honneur de bien le connaître.

Ainsi, M. Snevellicci n’eut pas plutôt avalé son second verre de punch, qu’oubliant presque aussitôt les symptômes qu’il venait de faire paraître de son ardeur belliqueuse, il promena sur tous les visages un sourire aimable, en proposant ce toast avec une extrême vivacité : « Les dames !… Honneur aux dames !

« Je les aime, dit M. Snevellicci promenant ses yeux tout autour de la table ; je les aime toutes.

— Pas toutes, lui dit doucement M. Lillyvick.

— Si… toutes, répéta M. Snevellicci.

— Permettez, dit M. Lillyvick, vous auriez l’air d’y comprendre les femmes mariées.

— Monsieur, je les aime comme les autres, » dit M. Snevellicci.

Le percepteur, frappé d’étonnement, promenait sur toutes les figures qui l’entouraient des yeux surpris qui semblaient dire : « En voilà un joli coco ! » et il ne se montra pas peu étonné de ne point lire dans les traits de Mme Lillyvick, les marques d’indignation et d’horreur qu’il espérait y voir.

« Oui ; mais, dit M. Snevellicci, si je les aime, elles m’aiment aussi : c’est un prêté rendu. »

Et, comme si cet aveu n’était pas déjà un attentat assez direct contre les plus saintes lois de la morale, savez-vous ce que fait M. Snevellicci ? Il se met à cligner de l’œil ouvertement et sans déguisement aucun ; il se met à cligner de l’œil droit… à l’adresse d’Henriette Lillyvick.

Le percepteur, frappé d’étonnement, en tombe à la renverse sur sa chaise. Qu’un homme se fût permis de cligner de l’œil à Henriette Petowker, c’était d’une indécence qui n’avait pas de nom ; mais à Henriette Lillyvick ! Ce n’est pas tout : pendant qu’il a encore la chair de poule, et qu’il se demande si ce n’est pas par hasard un mauvais rêve, l’autre recligne de l’œil, et boit, par signes, à la santé de Mme Lillyvick ; il s’oublie jusqu’à lui envoyer de loin un baiser. Ah ! pour le coup M. Lillyvick ne peut pas tenir sur sa chaise ; il va droit à l’autre bout de la table, et tombe (c’est le mot), il tombe sur lui sans dire gare. M. Lillyvick pesait son poids : aussi, quand il tomba sur M. Snevellicci, M. Snevellicci tomba sous la table, où M. Lillyvick le suivit à son tour. Les dames poussent un cri de détresse.