Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/456

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sir Mulberry prenant en main les rênes. Gare de là, chien ! William, lâche-lui la tête.

— Vous ferez mieux de n’en pas courir le risque, cria Nicolas en sautant sur le marchepied derrière sir Mulberry, et saisissant les rênes. Songez-y, il n’est plus maître du cheval. Je ne vous laisserai pas partir, croyez-en ma parole, avant de savoir de vous qui vous êtes. »

Le groom hésitait, car la jument, un fier animal, une bête de race, se cabrait avec tant de violence qu’il avait du mal à la contenir.

« Lâche-la, te dis-je ! » lui dit son maître d’une voix de tonnerre.

Le groom obéit, l’animal se mit à ruer et à se cabrer, à briser tout en mille morceaux ; mais Nicolas insensible au danger, et n’écoutant que sa furie, restait ferme à sa place et retenait les rênes.

« Voulez-vous lâcher !

— Voulez-vous me dire qui vous êtes ?

— Non !

— Non ? »

Ces mots furent échangés plus vite que la pensée, et sir Mulberry, prenant son fouet par le milieu, en asséna des coups furieux sur la tête et sur les épaules de Nicolas. Le fouet se brise dans la lutte. Nicolas en saisit le manche et en frappe son adversaire à la face qu’il lui fend depuis l’œil jusqu’à la lèvre. Il voit la plaie s’ouvrir, il voit la jument partir au grand galop, puis il ne voit plus rien, et, dans l’éblouissement qui le prend, il se sent jeté roide par terre.

Toute l’attention du public s’était portée à l’instant sur la personne emportée dans la voiture à fond de train. Nicolas restait seul, et jugeant sagement qu’en pareil cas ce serait folie à lui de vouloir courir après, il tourne le coin d’une rue de traverse, pour gagner la première place de fiacres venue. Il sent, au bout de quelques minutes, qu’il chancelle comme un homme ivre, et s’aperçoit, pour la première fois, que le sang lui ruisselle sur la figure et la poitrine.


fin du premier volume.