Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/455

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À plusieurs reprises, il promena autour de lui des regards impatients et colères ; mais il retrouvait toujours sir Mulberry dans la même posture, portant de temps en temps son verre à ses lèvres, et regardant vaguement le mur d’en face comme s’il ne savait seulement pas qu’il y eût là quelqu’un.

À la fin, il bâilla, étendit ses membres, se leva, alla tranquillement se regarder dans la glace, se retourna, et fit à Nicolas l’honneur de fixer sur lui un regard méprisant et prolongé. Nicolas le lui rendit de bon cœur. Sir Mulberry haussa les épaules, sourit du bout des lèvres, tira la sonnette et demanda au garçon son paletot.

Le garçon l’apporta et tint la porte ouverte.

« Vous n’avez pas besoin d’attendre, » dit sir Mulberry ; et le tête-à-tête recommença.

Sir Mulberry fit plusieurs tours dans la chambre de long en large, sifflant tout le temps d’un air insouciant, s’arrêta à la table, pour finir le dernier verre de bordeaux qu’il venait de se verser quelques minutes avant, prit son chapeau, l’ajusta dans la glace sur sa tête, mit ses gants et finalement sortit.

Nicolas, que le sang-froid de l’autre avait irrité et exalté presque jusqu’à la folie, s’élança de son siège et le suivit de si près qu’avant que la porte eût roulé sur ses gonds derrière sir Mulberry, ils étaient ensemble côte à côte dans la rue.

Il y avait un cabriolet bourgeois qui attendait ; le groom ouvrit le tablier et sauta à la tête du cheval pour le tenir.

« Voulez-vous me dire votre nom ? demanda Nicolas d’une voix étouffée.

— Non ! répondit l’autre d’un ton farouche en accompagnant son refus d’un juron ; non !

— Si vous vous fiez à la vitesse de votre cheval, dit Nicolas, je vous avertis qu’elle ne vous servira de rien. Je suis décidé à vous accompagner ; je vous jure que je ne vous quitterai pas, dussé-je m’accrocher à votre marchepied.

— Faites-le et vous allez voir comment je vais vous corriger à coups de fouet, reprit sir Mulberry.

— Vous êtes un infâme !

— Vous êtes un saute-ruisseau ! voilà tout.

— Je suis le fils d’un gentleman de province, votre égal par la naissance et l’éducation, et je vaux mieux que vous, je m’en flatte, pour tout le reste. Je vous le répète, Mlle Nickleby est ma sœur. Voulez-vous, oui ou non, me donner satisfaction de votre conduite odieuse et brutale ?

— À un champion digne de moi, oui ; à vous, non, répliqua