Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/82

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la cour où les vert pomme, sans se douter de leur sort, prenaient en bas un coup d’étrier copieux pour se préparer à courir un sanglier ou deux.

« Mon train de chasse, madame, dit le baron.

— Congédie-les, mon amour, murmura-t-elle.

— Les congédier ! s’écria le baron, ne pouvant en croire ses oreilles.

— Pour l’amour de moi, mon cœur.

— Pour l’amour du diable, madame, » répondit le baron.

« Sur quoi la baronne poussa un grand cri, et tomba évanouie aux pieds du baron.

« Que vouliez-vous qu’il fît ? Il sonna la femme de chambre de la baronne, il envoya chercher le docteur. Puis, se précipitant dans la cour, il chassa à grands coups de pied les deux vert pomme qui avaient cette spécialité, donna sa malédiction à tous les autres à la ronde, les envoya faire… n’importe quoi. Je voudrais savoir mieux l’allemand pour lui mettre dans la bouche une expression plus délicate.

« On n’attend pas de moi que j’aille décrire les moyens à l’aide desquels certaines dames réussissent par degrés dans leur ménage à donner le croc-en-jambe à leur époux ; je garde mon opinion pour moi ; je n’en dois compte à personne. J’aurais le droit, après tout, de penser qu’un membre du parlement, par exemple, ne devrait pas être marié. Car, sur quatre membres qui le sont, il y en a trois qui se croient obligés de voter selon la conscience de leur femme (quand elles ont de ces sortes de choses) et non selon la leur. Qu’il me suffise de dire, quant à présent, que la baronne Von Koëldwethout, par un moyen ou par un autre, acquit un grand empire sur le baron Von Koëldwethout, et que, petit à petit, brin à brin, jour par jour, d’année en année, le baron perdait du terrain et se voyait sournoisement démonté de quelque vieux dada du bon temps de sa jeunesse, car il commençait à devenir un gros papa d’environ quarante-huit ans. Plus de festin, plus de gala, plus de train de chasse, plus de chasse, plus rien enfin de ce qu’il aimait par goût ou par habitude ; et ce lion féroce, ce cœur d’acier fut décidément muselé et mené en laisse par sa propre dame, dans son propre château de Grogzwig.

« Encore si ses infortunes s’étaient bornées là ! Mais, un an après ses noces, un joli petit baronnet fit son entrée dans le monde, et l’on tira en son honneur je ne sais combien de feux d’artifice, on vida je ne sais combien de douzaines de bouteilles de vin. L’année suivante, ce fut le tour d’une petite baronnette,