Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 1.djvu/83

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et ainsi de suite, tous les ans, à tour de rôle, un baronnet, une baronnette, un jour même, tous les deux à la fois, si bien que le baron se trouva à la tête d’une famille de douze enfants. À chacun de ces anniversaires, la vénérable baronne Von Swillenhausen tombait dans des transports de sensibilité nerveuse en voyant compromettre le repos et la santé de sa chère fille, la baronne de Koëldwethout, et, si jamais on ne s’aperçut que la bonne dame ait, par quelque dévouement personnel, contribué au rétablissement de l’accouchée, elle ne s’en faisait pas moins un devoir de se montrer aussi agacée qu’elle le pouvait dans le château de Grogzwig, passant son temps à faire des observations critiques sur la tenue intérieure de la maison du baron, et surtout à déplorer le triste sort de sa fille infortunée. Si par hasard le baron de Grogzwig, passablement ennuyé de ces jérémiades, perdait patience et s’émancipait jusqu’à faire entendre que sa femme n’était pas plus malheureuse que toutes les autres femmes de baron, la baronne Von Swillenhausen prenait tout le monde à témoin qu’il n’y avait qu’elle dans ce monde qui s’intéressât aux souffrances de sa chère petite ; aussi ses parents et ses amis tombaient d’accord que, sans aucun doute, elle faisait deux fois plus de tapage que son gendre, et qu’il n’y avait pas de sans-sueur comparable à cette brute de baron de Grogzwig.

« Le pauvre baron supporta tout cela tant qu’il put, et quand il ne put plus résister à ses ennuis, il en perdit l’appétit et la bonne humeur, et alors il se laissa tristement aller à son abattement. Mais il n’était pas au bout de ses peines, et de nouveaux chagrins vinrent accroître sa mélancolie. Ses affaires n’étaient plus si florissantes. Il avait fait des dettes. Les coffres de Grogzwig s’épuisaient, quoique la famille de Swillenhausen les eût crus inépuisables : et c’était juste au moment où la baronne allait enrichir sa noble famille d’un treizième rejeton que Von Koëldwethout fit la triste découverte qu’il n’avait plus rien dans sa bourse.

« Qu’est-ce que je vais donc faire ? dit le baron. Si je me tuais ! »

« C’était une fameuse idée. Le voilà donc qui prend un couteau de chasse sur le buffet voisin ; il le repasse sur sa botte, et fait une fausse attaque à sa gorge.

« Hein ! dit le baron s’arrêtant en chemin, peut-être qu’il n’est pas assez bien aiguisé. »

« Le baron lui redonne le fil, et présente encore l’instrument à sa gorge qui n’y mettait pas beaucoup de bonne volonté. Au