Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/105

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Newman se gratta la tête avec les apparences du plus grand désappointement, puis il reprit la cruche, et se mit à en déguster le délicieux contenu, adressant en même temps à Smike, par-dessus les bords, un sourire ardent et sauvage.

« Vous allez rester ici, dit Newman, vous êtes fatigué, harassé ; moi j’irai leur annoncer votre retour ; vous pouvez vous vanter de leur avoir fait une belle peur. M. Nicolas…

— Que Dieu bénisse ! cria Smike.

— Ainsi soit-il ! répliqua Newman. M. Nicolas n’a pas pris une minute de paix ni de repos, pas plus que la vieille dame ni que miss Nickleby elle-même.

— Oh ! non, non ! est-ce que vous croyez qu’elle a pensé à moi ?… Qui ? elle ? oh ! est-ce vrai ?… est-ce bien vrai ? Ne me dites pas cela, si ça n’est pas.

— Certainement si, cria Newman, c’est un bien noble cœur ; elle est aussi bonne que belle.

— Oui, oui, cria Smike, vous avez bien raison.

— Si gracieuse et si douce ! dit Newman.

— Oui, oui, cria Smike avec un redoublement de vivacité.

— Ce qui ne l’empêche pas, poursuivit Newman, d’être un modèle de franchise et de loyauté. »

Il allait continuer sur ce ton lorsque, dans son enthousiasme, en regardant par hasard son compagnon, il s’aperçut qu’il s’était couvert la face de ses mains, et que des larmes furtives coulaient entre ses doigts.

Un moment auparavant, ces mêmes yeux, maintenant baignés de pleurs, étincelaient d’une flamme inaccoutumée, et tous les traits de son visage s’étaient illuminés d’une ardeur qui en avait fait, pour un moment, une créature toute différente d’elle-même.

« Ah ! bon ! murmura Newman comme un homme embarrassé de sa découverte, je n’en suis pas surpris, j’y avais déjà pensé plus d’une fois ; avec un bon naturel comme celui-là, c’était inévitable. Pauvre garçon !… oui, oui, il le sent lui-même… c’est ce qui l’attendait… cela lui rappelle ses premiers maux… Ah ! c’est bien cela ; oui, je connais cela… hum !… »

Le ton dont Newman Noggs exprimait ces réflexions ambiguës montrait assez qu’il n’envisageait pas du tout avec satisfaction le sentiment qui les lui avait inspirées. Il resta assis quelques minutes d’un air rêveur, jetant de temps en temps à Smike un regard d’inquiétude et de pitié qui montrait assez qu’il avait plus d’une raison de sympathiser lui-même avec ses tristes pensées.