Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/172

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autres agioteurs, vous ne craignez pas de violer impunément tous les jours, je fus condamné à être transporté pendant sept ans. Vous voyez dans quel état je suis revenu. Maintenant, monsieur Nickleby, ajouta-t-il avec un singulier mélange d’humilité et d’assurance, voyons ! que voulez-vous faire pour moi ? Comment voulez-vous reconnaître, ou plutôt, franchement, combien voulez-vous payer mon secret ? Mes prétentions ne sont pas énormes, mais enfin il faut que je vive, et je ne puis pas vivre sans boire ni manger. L’argent est de votre côté : la faim et la soif sont du mien. Vous pouvez vous en tirer à bon marché.

— Est-ce tout ? dit Ralph, fixant toujours sur son ancien commis le même regard de mépris inflexible, et remuant seulement les lèvres.

— C’est de vous que cela dépend, monsieur Nickleby ; c’est tout, et ce n’est pas tout, selon qu’il vous plaira.

— Eh bien alors, monsieur… je ne sais pas quel nom vous donner, dit Ralph.

— Mon ancien nom, si vous voulez.

— Eh bien donc ! écoutez-moi bien, monsieur Brooker, dit Ralph avec les accents d’une colère rentrée. Écoutez-moi bien, car ce sont les derniers mots que vous entendrez jamais de moi. Il y a longtemps que je vous connais pour être un franc coquin, mais vous n’avez pas le cœur solide, et les travaux forcés avec un boulet au pied et une nourriture moins abondante que du temps où je vous vexais et vous maltraitais, ont déjà singulièrement hébétés vos esprits, sans cela vous ne viendriez pas me débiter de pareilles fariboles. Vous ! un secret qui vous donne prise sur moi ! eh bien ! gardez-le ou dites-le à tout le monde, comme vous voudrez, je vous laisse le choix.

— Je n’ai pas envie de le dire à tout le monde, reprit Brooker ; à quoi cela me servirait-il ?

— À quoi cela vous servirait-il ? dit Ralph ; à peu près autant que de venir me faire ces contes, je vous assure. Tenez ! jouons cartes sur table ; je suis un homme soigneux et je sais toutes mes affaires sur le bout de mon doigt. Je connais le monde et le monde me connaît. Tout ce que vous avez pu ramasser en ouvrant tout grand vos yeux et vos oreilles quand vous étiez à mon service, le monde le sait et l’exagère même. Vous ne pouvez plus rien lui dire de moi qui le surprenne, à moins pourtant que vous ne chantiez mes louanges ; mais alors, il vous huerait comme un menteur. Eh bien ! tout cela ne me fait trouver ni moins d’affaires, ni moins de confiance dans mes clients ; bien au contraire, il n’y a pas de jour que je ne sois honni ou me-