Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/181

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visite, elle était censée, poliment parlant et selon toutes les lois de la société, ne pas même savoir qu’il y eût une Mme Browdie au monde, elle se trouvait, selon elle, dans une situation particulièrement pénible et délicate.

« C’est de moi, mon cher, disait Mme Nickleby, que doit venir la première visite, cela ne peut pas se passer autrement ; le fait est qu’il doit y avoir de ma part une espèce d’avance polie qui montre à cette jeune dame que je désire faire sa connaissance. Eh bien ! il y a un jeune homme qui a l’air très respectable, ajouta Mme Nickleby après quelques moments de réflexion : c’est le conducteur d’un des omnibus qui passent par ici ; il porte un chapeau verni, votre sœur et moi nous l’avons souvent remarqué ; il a aussi une verrue sur le nez, n’est-ce pas, Catherine ? tout à fait comme un domestique de maison bourgeoise.

— Est-ce que tous les domestiques de maison bourgeoise, ma mère, ont une verrue sur le nez ? demanda Nicolas.

— Mon cher Nicolas, quelle absurdité vous me faites dire ! répondit-elle. Ne voyez-vous pas bien que c’est son chapeau verni qui le fait ressembler à un domestique de maison bourgeoise, et non pas sa verrue sur le nez ? Quoique ce ne fût pourtant pas encore une chose aussi ridicule qu’on pourrait le croire, car nous avons eu une fois un valet de chambre qui avait non seulement une verrue, mais aussi une loupe, et une grosse loupe encore. Je me rappelle même qu’il nous demanda d’augmenter ses gages en conséquence, parce que cette loupe était pour lui d’un gros entretien. Mais, voyons ! où en étais-je ? Ah ! bon, m’y voici ; ce qu’il y aurait de mieux à faire, ce serait de charger ce jeune homme (je suis sûre qu’on en serait quitte pour une bouteille de bière) de remettre ma carte et de présenter mes compliments aux deux Têtes de Sarrasin. Ma foi ! si le garçon de l’auberge allait le prendre pour un domestique de maison bourgeoise, tant mieux ! alors Mme Browdie n’aurait plus qu’à m’envoyer aussi sa carte par le porteur, qui n’aurait qu’à nous avertir lui-même, en passant, par un double coup de marteau à la porte, et tout serait fini.

— Mais, ma chère mère, dit Nicolas, je ne suppose pas que des gens naïfs et primitifs comme ceux-là sachent ce que c’est que d’avoir seulement une carte.

— Oh ! alors, mon cher Nicolas, cela change bien la thèse, répliqua Mme Nickleby ; si vous mettez la question sur ce terrain, vous sentez que je n’ai plus rien à dire, si ce n’est que je ne mets point du tout en doute que ce ne soient de braves gens et