Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/182

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que je ne m’oppose point du tout à ce qu’ils viennent prendre avec nous le thé si cela leur fait plaisir, et qu’enfin je ferai mon possible pour être très civile avec eux dans ce cas. »

Ce fut donc une affaire réglée, et Mme Nickleby, prenant ainsi le rôle de protection et de condescendance qui convenait à son rang et à sa longue expérience matrimoniale, invita M. et Mme Browdie, qui acceptèrent sans façon ; et, comme ils se montrèrent pleins de déférence pour Mme Nickleby, qu’ils parurent apprécier à son gré ses grandes manières, qu’enfin ils trouvèrent tout à merveille, la bonne dame daigna plus d’une fois, dans la soirée, glisser un mot en leur faveur dans l’oreille de Catherine, disant qu’elle n’avait jamais vu de plus honnêtes gens, ni qui eussent une meilleure tenue.

Et c’est comme cela que John Browdie en était venu à déclarer dans la salle à manger, après le souper, c’est-à-dire à onze heures moins vingt après midi, qu’il n’avait jamais été si heureux de sa vie ni de ses jours.

Mme Browdie, de son côté, ne témoignait pas moins de contentement ; car cette jeune ménagère, dont la beauté rustique faisait un contraste piquant avec les charmes plus délicats de Catherine, sans qu’elles eussent l’une ni l’autre à souffrir de ce contraste qui servait plutôt à les faire valoir toutes les deux, ne pouvait se lasser d’admirer les manières douces et séduisantes de la jeune demoiselle ainsi que l’affabilité obligeante de la vieille dame. Et puis Catherine avait eu l’adresse de tourner la conversation sur des sujets où une demoiselle de la campagne un peu timide et désorientée dans une autre compagnie pouvait reprendre ses avantages et se sentir plus à l’aise. Quant à Mme Nickleby, si elle ne fut pas toujours aussi heureuse dans le choix de ses sujets de conversation ; si elle se montra, selon l’expression de Mme Browdie, un peu élevée pour elle dans son langage et dans ses idées, elle se fit pourtant aussi bienveillante que possible, et, dans son intérêt sympathique pour le jeune couple, elle alla jusqu’à se donner obligeamment la peine d’occuper les oreilles avides de Mme Browdie de très longues leçons sur la tenue du ménage, avec force explications dont les exemples divers étaient toujours tirés de l’économie domestique en usage dans son cottage. Et pourtant, il faut le dire, comme c’était Catherine qui en avait exclusivement le soin, la bonne dame avait autant de droits de s’en attribuer l’honneur en pratique ou en théorie que pourrait le faire quelque statue des douze apôtres qui servent à l’embellissement de l’extérieur de la cathédrale de Saint-Paul.