Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tour de main, changer nos faiblesses mêmes en vertus héroïques et magnanimes.

M. Cheeryble, naturellement, ne se doutait guère des réflexions qui se présentaient alors à son jeune ami ; il se mit donc à lui donner les pouvoirs et les instructions nécessaires pour faire sa première visite dès le lendemain matin ; puis, quand tous les préliminaires eurent été bien réglés et le secret le plus absolu recommandé, Nicolas retourna chez lui, le soir, en proie à une foule de pensées.

L’endroit où l’avait adressé M. Cheeryble formait une rangée de maisons sans élégance et même sans propreté, située dans les limites privilégiées de la prison du banc du roi, à quelques centaines de pas de l’obélisque de Saint-Georges-des-Champs. Ces limites privilégiées forment comme un asile auprès de la prison ; elles comprennent une douzaine de rues où les débiteurs qui peuvent se procurer de l’argent pour payer des droits assez considérables dont leurs créanciers ne retireront aucun profit, sont autorisés à résider en toute sûreté, grâce à la sagesse de ces lois éclairées qui laissent le débiteur sans argent mourir de faim dans un cachot, sans même lui fournir la nourriture, les vêtements, le logement et le chauffage qu’elles ne refusent pas aux criminels convaincus des plus noirs forfaits, à la honte du genre humain. Pour moi, je trouve que de toutes les plaisantes fictions qui représentent la loi toujours occupée à bien équilibrer sa balance, il n’y en a pas de plus plaisante ni de plus amusante pour l’observateur, dans la pratique, que celle qui suppose tout homme égal devant son impartialité, et toutes ses grâces également accessibles à tout individu, sans tenir le moindre compte de la monnaie qui garnit son gousset.

C’est vers cette rangée de maisons que Nicolas dirigea ses pas, suivant les indications de M. Charles Cheeryble, sans se troubler la cervelle de la moindre réflexion sur la balance de Thémis, et c’est à cette rangée de maisons qu’il arriva enfin, le cœur palpitant, après avoir eu à traverser d’abord un faubourg sale et poudreux qui, en faits d’objets intéressants, présente partout aux yeux des théâtres de marionnettes, des huîtres, des crabes et de homards, du gingerbeer, des voitures de déménagements, des boutiques de fruitières, des étalages de fripiers.

Devant chacune de ces maisons, étaient des jardinets complètement négligés sous tous les autres rapports, mais qui formaient comme autant de petits magasins de poussière, qui attendaient là que le vent tournât le coin de la rue pour venir la balayer sur la route. Nicolas s’arrêta devant l’une d’elles, ouvrit