Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’arrêt de ses futures destinées. Quand il s’en aperçut, il sourit tout le premier de sa distraction étrange, et se préparait à continuer sa route, lorsqu’en jetant un dernier coup d’œil sur les premières lignes de l’affiche, il y vit annoncée, en grands caractères, avec de grands espaces pour les distancer : Sans remise, la dernière représentation de M. Vincent Crummles, le célèbre artiste de province.

« Quel conte ! dit Nicolas en se retournant ; ce n’est pas possible ! »

C’était au contraire bien vrai. Dans une ligne à part se trouvait l’annonce de la première représentation d’un nouveau mélodrame. Une autre ligne, à part aussi, annonçait la sixième représentation d’un mélodrame ancien. Une troisième ligne était consacrée à la suite des débuts de l’incomparable avaleur de sabres africain qui avait eu la bonté de consentir à continuer une semaine de plus à faire le bonheur du public de Londres. Une quatrième ligne avertissait aussi les passants que M. Snittle Timberry, rétabli de l’indisposition grave qui l’avait retenu quelque temps loin du théâtre, reparaîtrait aujourd’hui même. Une cinquième ligne disait qu’il y avait tous les soirs à chaque représentation des bravos, des larmes, de grands éclats de rire. Une sixième déclarait que c’était décidément la dernière représentation de M. Vincent Crummles, le célèbre artiste de province.

« Ce ne peut être que lui, pensa Nicolas ; il n’est pas possible qu’il y ait deux Vincent Crummles au monde. »

Pour mieux s’en assurer, il se remit à lire l’affiche. Il y trouva dans la première pièce un baron, dont le fils Roberto était joué par un jeune Crummles, et son neveu Spalatro par un M. Percy Crummles, tous pour leur dernière représentation. De plus, il y avait dans la pièce une danse de caractère intercalée, et un solo dansé au son des castagnettes par l’enfant phénoménal… pour sa dernière représentation. Il n’y avait plus de doute ; et Nicolas, bien sûr cette fois de ne pas se tromper, après avoir fait remettre à M. Crummles un bout de papier sur lequel il avait écrit au crayon son nom de guerre, M. Johnson, fut introduit par un brigand à grande ceinture bouclée qui lui serrait la taille, à grands gantelets de cuir sur les mains, et se trouva en présence de son ancien directeur.

M. Crummles se montra sincèrement charmé de le revoir ; il quitta précipitamment pour lui une petite glace devant laquelle il s’attifait, portant un sourcil touffu collé en zigzag autour de son œil gauche, et tenant l’autre à la main ainsi que le mollet