Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/239

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un profond silence, regardant la plupart, de temps en temps, du côté de M. Snittle Timberry. Quelques-uns même, plus hardis que les autres, faisaient résonner sur la table le revers des phalanges de leurs doigts, et ne craignaient pas d’exprimer hautement leur impatience en réveillant le zèle du président par des encouragements comme ceux-ci :

« Allons, Timberry !… vous dormez, monsieur le président… nos verres sont pleins, monsieur, et n’attendent plus qu’un toast. »

À ces observations, M. Timberry ne daigna pas faire d’autre réponse que de frapper sa poitrine comme pour faciliter le passage de sa respiration embarrassée, sans oublier d’autres marques apparentes de l’indisposition à laquelle il était bien aise de faire croire qu’il était encore en proie… car, sur le théâtre comme ailleurs, il ne faut pas faire trop bon marché de sa personne… Cependant, M. Crummles, qui savait mieux que personne que c’était lui qui serait le sujet du prochain toast, restait gracieusement assis, le bras négligemment passé sur le dos de sa chaise, et, de temps en temps, levant son verre jusqu’à ses lèvres, il y buvait quelques gouttes de punch, du même air dont il était accoutumé à avaler de longues gorgées de rien du tout dans les gobelets de carton des banquets somptueux représentés sur la scène.

Enfin, M. Snittle Timberry se leva dans l’attitude classique des orateurs, une main dans le devant de son gilet, l’autre sur la tabatière de son voisin, et se voyant accueilli d’avance avec un grand enthousiasme, il proposa, avec accompagnement de compliments et de titres glorieux, la santé de son ami M. Vincent Crummles : puis il enfila un discours passablement long, dont le caractère principal fut qu’il étendit sa main droite d’un côté, sa main gauche de l’autre, et que, de temps à autre, il prononça le nom de M. et de Mme Crummles, en saisissant leur main et en la serrant entre les siennes. Ceci fait, M. Vincent Crummles parla à son tour pour adresser ses remerciements à l’assemblée. Ensuite, l’avaleur africain proposa la santé de Mme Vincent Crummles en termes touchants. On entendit de gros soupirs et des sanglots s’échapper de la poitrine des dames, et en particulier de Mme Crummles, ce qui n’empêcha pas cette femme héroïque d’insister pour répondre par son petit discours de remerciement, et elle s’en tira de manière que jamais discours de remerciement n’a depuis surpassé ni même égalé le sien. M. Snittle Timberry ne put pas non plus résister au désir de porter un nouveau toast aux enfants Crummles, qui ne purent répondre que par l’organe de M. Vincent Crummles, leur père.