Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/248

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se méprendre. Heureusement que la tournure de son esprit ne portait guère la bonne dame à la réflexion, excepté dans les occasions malheureuses où ces réflexions pouvaient se faire tout haut et s’épancher à grands cris. Elle attribua donc simplement la rougeur de sa fille à ce qu’elle était contrariée de n’avoir pas mis sa belle robe, « quoique vraiment, ajouta-t-elle, je ne l’aie jamais vue plus à son avantage. » Bien convaincue d’avoir trouvé la vraie cause du trouble de sa fille, et se félicitant une fois de plus de l’heureuse intuition qui, chez elle, ne se trompait jamais, elle ne songea plus qu’à s’applaudir d’être si fine et si bonne connaisseuse.

Nicolas ne revenait pas, et Smike ne reparaissait pas. Chose étonnante ! la petite société n’en fut pas moins de la plus belle humeur du monde. Si je vous disais qu’il y eut comme un échange d’agaceries entre miss la Creevy et Tim Linkinwater ; que le vieux caissier fit une foule de plaisanteries plus drôles les unes que les autres ; qu’il devint, petit à petit, des plus galants, pour ne pas dire tendre. La petite miss la Creevy n’était pas en reste. Quel feu ! quelle gaieté ! elle alla jusqu’à railler Timothée d’être resté garçon toute sa vie, et le convertit même, car il s’oublia jusqu’à déclarer que, s’il pouvait trouver quelqu’un qui lui convînt, il ne disait pas qu’il ne changerait pas de condition. Là-dessus miss la Creevy l’avertit qu’elle avait son affaire ; elle connaissait une dame qui lui conviendrait parfaitement et qui possédait une jolie fortune. Mais Timothée se montra peu sensible à cette dernière séduction. Timothée était un homme de cœur, ce n’était pas la fortune qu’il cherchait, c’était le mérite personnel et un caractère enjoué, dans celle dont il voudrait faire sa femme ; avec de pareilles qualités, ils auraient toujours assez d’argent pour satisfaire aux besoins modérés d’un honnête ménage. Miss la Creevy n’était pas pour le contredire dans ces bons sentiments ; bien au contraire, elle et Mme Nickleby ne trouvaient pas assez d’éloges pour les encourager ; et Timothée, ne connaissant plus rien, se lança à bride abattue dans un grand nombre d’autres déclarations, qui faisaient également honneur à son désintéressement et à son dévouement délicat pour le beau sexe ; jugez s’il grandit encore dans l’estime de ces dames. Toute cette scène fut jouée avec un mélange comique de sérieux et de badinage, qui donna lieu à de grands éclats de rire, et leur fit passer une soirée ravissante.

C’était ordinairement Catherine qui était l’âme et la vie de la conversation chez elle : mais ce jour-là elle était plus réservée que de coutume… C’était peut-être parce que miss la Creevy et