Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/283

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Newman le salua d’un signe de tête, mit la lettre dans son chapeau et s’en allait, lorsque Gride, qui, dans l’enthousiasme de son bonheur, ne connaissait plus rien, lui fit signe de revenir sur ses pas, et lui dit tout bas d’une voix perçante avec un ricanement qui lui rida toute la face au point de lui cacher presque les yeux :

« Voulez-vous…, voulez-vous prendre une petite goutte de quelque chose, seulement pour y goûter ? »

Qu’Arthur Gride eût offert à Newman de boire ensemble un petit coup d’amitié (et il en était bien incapable), Newman n’aurait pas voulu à ce titre accepter de lui le vin le plus généreux. Mais ici c’était un ladre qui proposait dans l’espérance d’être refusé, et Newman ne fut pas fâché de lui jouer un mauvais tour en acceptant tout net, pour voir un peu ce qu’il dirait, et pour le punir à sa manière.

Arthur Gride, pris au piège, s’approcha donc de l’armoire. Il y avait une tablette chargée de grandes chopes flamandes et de bouteilles curieuses, les unes avec des goulots longs comme des cous de cigogne, les autres avec de gros ventres hollandais et de petits goulots apoplectiques : c’est là qu’il prit une bouteille poudreuse d’assez bonne mine, avec deux verres d’une petitesse microscopique.

« Vous n’avez jamais goûté de cela, dit-il, c’est de l’eau d’or. Je l’aimerais rien que pour son nom. Nom délicieux ! de l’eau d’or ! Dieu de Dieu ! n’est-ce pas péché d’en boire ? »

Et en effet le cœur avait l’air de lui manquer à cette pensée. Il s’amusait avec le bouchon de manière à laisser craindre que tout cela ne finît par remettre la bouteille en place sans y toucher. Newman en eut la peur : il prit un des petits verricules, et le toqua deux ou trois fois contre la bouteille, comme pour rappeler doucement à l’autre qu’il ne lui avait encore rien donné. Arthur poussa un profond soupir avant de consommer le sacrifice, le remplit lentement, non pas jusqu’au bord pourtant, puis remplit le sien à son tour.

« Un instant ! un instant ! Ne buvez pas encore, dit-il en arrêtant la main de Newman prêt à boire. Vous voyez bien, voilà vingt ans qu’on m’en a fait cadeau, et quand j’en prends une goutte, ce qui m’arrive très… très-rarement, j’aime à y réfléchir auparavant, pour taquiner ma soif. Voyons ! porterons-nous une santé ? Oui, c’est cela, nous allons porter une santé, n’est-ce pas, monsieur Noggs ?

— Ah ! dit Newman impatienté du retard et surtout de l’exiguïté du verre, dépêchons-nous : le porteur attend.