Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/307

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peine d’ouvrir les yeux pour se rendre compte de tout, lorsque M. Bray accueillit sa visite par ces mots prononcés d’un ton impatient :

« Eh bien ! monsieur, qu’est-ce que vous voulez ? dites tout de suite, s’il vous plaît, la commission dont vous êtes chargé, car ma fille et moi nous sommes occupés d’affaires bien autrement importantes que celle qui vous amène ; ainsi, monsieur, dépêchez-vous de nous expliquer la vôtre sans phrases. »

Il était facile à Nicolas de voir que l’impatience nerveuse témoignée par M. Bray dans ses paroles n’était pas réelle, et qu’au fond du cœur il était, au contraire, ravi d’une interruption qui devait avoir pour effet de donner le change à l’attention de sa fille. Involontairement il porta les yeux sur lui pendant qu’il parlait, et remarqua son embarras, car Bray rougissait et détournait la tête.

Cependant, s’il avait en effet le désir de distraire les pensées de Madeleine en la forçant de prendre part à l’entretien, il ne fut pas trompé dans son attente, car elle se leva, fit quelques pas vers Nicolas, et tendit la main comme pour recevoir la lettre qu’on lui apportait sans doute.

« Madeleine, lui dit son père d’un air maussade, que faites-vous là, ma chère amie ?

— C’est que sans doute Mlle Bray s’attendait à recevoir un billet, dit Nicolas parlant très distinctement et appelant l’attention de Madeleine sur le sens mystérieux de ses paroles par l’énergie avec laquelle il appuyait sur chaque mot ; mais mon patron n’est pas en Angleterre, sans quoi, je me serais présenté avec une lettre. J’espère que mademoiselle voudra bien me donner du temps… un peu de temps ; je ne demande qu’un très court délai.

— Si vous n’êtes venu que pour cela, monsieur, dit M. Bray, vous n’avez pas besoin de vous tourmenter. Chère Madeleine, je ne savais pas que ce monsieur fût votre débiteur.

— Oh ! pour une bagatelle, je crois, répondit Madeleine d’une voix abattue.

— Vous vous imaginez peut-être, dit Bray en retournant sa chaise pour regarder en face Nicolas, que, sans les misérables sommes que vous apportez de temps en temps pour indemniser ma fille de l’emploi qu’elle veut bien faire de ses loisirs, nous n’aurions qu’à mourir de faim ?

— Je n’ai jamais eu de pareilles idées, répliqua Nicolas.

— Ah ! vous n’avez pas eu de pareilles idées, reprit le malade en ricanant ; vous savez bien que si. Ces idées-là, non-seule-