Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/329

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

retrouvez, cette fois, étendu sur le dos, la tête pendante hors du lit, ou l’estomac fatigué par une mauvaise digestion, dit Ralph. Baste ! M. Bray, faites comme moi (maintenant surtout que vous allez voir s’ouvrir devant vous une nouvelle carrière de plaisirs et de jouissances sans fin), occupez-vous un peu plus pendant le jour que vous ne pouvez faire ici, et je vous réponds que vous n’aurez pas du temps de reste pour vous rappeler vos songes de la nuit. »

Ralph le suivit d’un regard assuré jusqu’à la porte, puis retournant vers le fiancé :

« Gride, lui dit-il quand ils furent seuls, écoutez-moi bien. Je vous garantis que voilà un homme à qui vous n’avez pas longtemps à payer pension. C’est toujours comme ça dans vos marchés, il faut que vous soyez né coiffé. S’il n’est pas déjà inscrit pour faire le grand voyage avant quelques mois, j’y perds mon latin. »

Arthur répondit par un gloussement de joie folâtre à cette prophétie, qui flattait si agréablement ses oreilles.

Ralph se jeta sur une chaise, et ils restèrent à attendre tous les deux dans un profond silence. Ralph en lui-même pensait, en riant du bout des lèvres, au singulier changement qu’il avait vu chez Bray, et à la facilité avec laquelle leur complicité avait abattu son orgueil et établi entre eux une familiarité inattendue, quand son oreille attentive crut entendre le frôlement d’une robe de femme dans l’escalier, et le pas d’un homme en même temps.

« Alerte ! dit-il en frappant du pied sur le parquet d’un air impatienté, réveillez-vous donc, Gride, et n’ayez pas l’air d’un homme empaillé. Les voici. Voyons ! un effort sur vos vieux os. Traînez-vous, si vous pouvez, par ici au-devant d’eux. Vite, vite ! »

Gride fit donc un effort, se leva lourdement, et se tint tout contre Ralph, faisant des grâces et des révérences pour saluer l’épousée, quand la porte s’ouvrit et donna passage à… non, ce n’était ni Bray ni sa fille, c’était Nicolas et Catherine sa sœur.

Si quelque apparition épouvantable évoquée du monde infernal s’était soudainement présentée devant lui, Ralph n’aurait pas été plus saisi qu’il ne le fut alors ; on l’aurait dit frappé de la foudre. Ses bras retombèrent sans vie à ses côtés ; il chancela en reculant d’un pas ; la bouche ouverte, la figure pâle comme un mort, il resta à les considérer dans une rage muette. Il avait les yeux hors de la tête, et les convulsions de la colère, qui dé-