Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/341

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tre chose, et, franchement, je ne comprends pas que vous soyez si indiscrète. Vous avez bien assez d’autres sujets de conversations, peut-être ; et, quand vous savez toute l’importance qu’il y a à distraire Mlle Bray et à la récréer par une causerie intéressante, réellement je trouve extraordinaire que vous soyez toujours à lui carillonner aux oreilles le même dinn dinn, don, don, toujours et toujours. Ma foi ! Catherine, vous êtes une belle garde-malade ; je sais bien que vous ne le faites pas exprès, mais je peux bien dire que, sans moi, je ne sais pas réellement comment le moral de Mlle Bray pourrait se relever ; c’est ce que je dis tous les jours au docteur. Il me dit, de son côté, qu’il ne sait pas comment je fais pour me conserver comme je suis, et la vérité est que je m’étonne moi-même de me soutenir si bien. Ce n’est pas sans peine ; mais, quand je pense à tout ce qui ne peut se passer de moi dans cette maison, je suis bien obligée de faire de mon mieux. Je n’ai pas de mérite à cela : il le faut, et je me résigne. »

Là-dessus, Mme Nickleby prit un fauteuil et, pendant trois grands quarts d’heure, se lança à perte de vue dans une foule de sujets de distraction où il n’y avait guère que son esprit de distrait. Enfin elle se retira pour aller distraire à son tour Nicolas, pendant son souper. Après avoir commencé par lui confier, apparemment pour lui relever aussi le moral, que décidément elle trouvait la malade empirée, elle continua de lui récréer le cœur en lui racontant que Mlle Bray était triste, indolente, abattue, ce qui tenait à ce que Catherine, sottement, ne l’entretenait que de lui et de leurs affaires de famille. Après avoir consolé Nicolas par ces nouvelles encourageantes, elle entra dans le détail de tout ce qu’elle avait eu à faire dans la journée, et ne put s’empêcher de se montrer de temps en temps émue jusqu’aux larmes, en pensant au malheur que ce serait pour sa famille, à laquelle elle était si nécessaire, si elle venait à lui être enlevée.

D’autres fois, quand Nicolas revenait le soir, c’était en compagnie de M. Frank Cheeryble, qui était chargé par ses oncles de venir savoir comment Madeleine avait passé la journée. Dans ces occasions, qui se répétaient très-souvent, Mme Nickleby n’avait garde de s’endormir : d’après certains signes auxquels sa vigilance ne s’était point trompée, elle avait conjecturé finement que M. Frank, avec tout ce bel intérêt de ses oncles pour Madeleine, venait au moins autant pour voir Catherine que pour chercher des nouvelles de la malade au nom des frères Cheeryble ; d’autant plus que ces messieurs étaient en