Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/392

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plutôt que de devenir votre souffre-douleur, votre bête de somme. Si je ne savais pas dire un mot, sans que ce soit un mensonge, je serais plus avant dans vos faveurs. Des mensonges ! Quand est-ce que vous m’avez vu faire des courbettes et des bassesses, je vous le demande ? Je vous ai servi fidèlement. Vous m’avez fait travailler plus qu’un autre, parce que j’étais plus pauvre. Vous m’avez fait endurer plus d’injures grossières qu’on n’en pourrait entendre dans un corps de garde, et je les ai méprisées comme je vous méprise. Et pourquoi ai-je subi tout cela ? Je me suis mis à votre service parce que j’étais fier, parce qu’au moins j’étais sûr de ne pas avoir chez vous de collègue, d’autre pâtira qui fût témoin de ma misère, et aussi parce que personne ne savait mieux que vous que j’étais un homme ruiné, que je n’avais pas toujours été ce que je suis, et que je serais mieux dans mes affaires, si je n’avais pas été assez fou pour tomber dans vos mains ou dans celles de quelques autres coquins comme vous. Pouvez-vous nier cela, hein ?

— Doucement, lui dit Timothée ; vous aviez promis de vous modérer.

— J’avais promis de me modérer ! cria Newman en l’écartant et en repoussant de sa main la main de Timothée pour le tenir à distance ; ne me parlez pas de ça. Et vous, Nickleby, n’ayez pas l’air de me narguer, ça ne se passerait pas comme ça. Je ne suis pas si bête que vous croyez. Vous parliez de ligue tout à l’heure. Qui est-ce donc qui a fait une ligue avec les maîtres de pension du Yorkshire, et qui avait pris la précaution de renvoyer son saute-ruisseau pour qu’il ne pût rien entendre, mais qui n’avait pas pensé que toutes ces précautions mêmes devaient exciter les soupçons, et l’engager à surveiller son maître le soir dans la ville, laissant à un autre le soin de surveiller le maître d’école ? Qui est-ce qui s’est ligué avec un père égoïste, pour lui faire vendre sa fille au vieil Arthur Gride ? Qui est-ce qui s’est ligué avec Gride, et tout cela dans le petit cabinet où il y a une armoire ? »

Ralph s’était jusque-là merveilleusement possédé, mais, pour le coup, on l’aurait menacé de le décapiter, qu’il n’aurait pu réprimer un tressaillement dont il ne fut pas maître.

« Ah ! cria Newman, vous ne me narguez plus maintenant, n’est-ce pas ? Et savez-vous qui est-ce qui a donné l’idée à votre victime que voici d’épier les actions de son maître, et de ne pas vouloir devenir aussi méchant ou pire que lui, en lui laissant faire le mal qu’il pouvait empêcher ? Eh bien ! c’est de voir les traitements cruels que ce maître impitoyable faisait souffrir à son