Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/414

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pas moins chers. Et, s’ils m’ont conté d’abord son histoire, c’est qu’ils avaient en moi une confiance sans limites, et m’ont cru franc comme l’acier. Voyez quelle bassesse ce serait de ma part de profiter des circonstances qui l’ont amenée sous notre toit, ou du léger service que j’ai eu le bonheur de lui rendre, pour chercher à conquérir son affection, quand il en résulterait pour les frères, si j’y avais réussi, un désappointement dans leur désir de l’établir comme leur propre fille, et le soupçon trop naturel que j’ai fondé l’espoir de ma fortune sur leur compassion pour une jeune personne, prise ainsi dans mes filets par un calcul honteux, comme si j’avais fait servir à mes vœux intéressés sa reconnaissance même et la générosité de ses sentiments, spéculant bassement sur son malheur ! Moi aussi, Catherine, dont le devoir, le plaisir et l’orgueil est de leur reconnaître d’autres titres à mon dévouement, que je n’oublierai jamais ; moi, qui déjà leur dois une vie aisée et heureuse, sans avoir le droit d’en demander davantage, j’ai pris le parti bien arrêté de m’ôter ce souci cruel. Je ne sais même pas si je n’ai pas à me reprocher d’avoir attendu trop longtemps. Dès aujourd’hui, je veux, sans réserve et sans équivoque, ouvrir mon âme à M. Cheeryble, et le supplier de prendre les mesures les plus promptes pour chercher à cette jeune personne l’abri d’une autre hospitalité que celle de notre toit.

— Aujourd’hui ? sitôt ?

— Voilà bien des jours et des semaines que j’y songe ; pourquoi différerais-je encore ? Si la scène douloureuse que je viens d’avoir sous les yeux m’a fait faire des réflexions, si elle a éveillé plus vivement encore en moi les scrupules et le sentiment du devoir, pourquoi attendrais-je que le temps en eût refroidi l’impression salutaire ? Ce n’est pas vous, Catherine, qui m’en donneriez le conseil, ne m’en ayant pas donné l’exemple !

— Mais vous, c’est différent, vous pouvez devenir riche, qui sait ? dit Catherine.

— Je puis devenir riche ! répéta Nicolas avec un sourire plein de tristesse ; c’est vrai, comme aussi je puis devenir vieux. Mais ne parlons plus de cela ; riche ou pauvre, jeune ou vieux, nous serons toujours l’un pour l’autre ce que nous sommes, vous et moi ; que ce soit là notre consolation. Nous ferons ménage commun, voulez-vous ? au moins nous n’y serons point solitaires. Et si, fidèles à ces premières résolutions, nous avions le courage de n’en jamais changer ! ce ne serait qu’un anneau de plus à la chaîne qui nous lie déjà l’un à l’autre. Il me semble que c’est hier, Catherine, que nous étions camarades d’enfance, et que