Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/429

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traordinaire qu’ils aient invité miss la Creevy. Cela m’étonne ; je n’en reviens pas. Certainement j’en suis bien aise, j’en suis charmée, et je ne doute pas qu’elle ne se tienne très bien, comme toujours. C’est un grand plaisir pour nous de penser que nous ayons pu lui procurer l’honneur d’être introduite en pareille société, et j’en suis toute contente, plus qu’on ne peut dire, car c’est assurément une petite personne excellente et de très bon ton. Je voudrais pourtant bien qu’on lui dît, en ami, de ne pas attifer son bonnet d’une manière si comique et de ne pas faire tant de révérences superflues ; mais, comme de raison, c’est impossible, et si cela lui plaît de se rendre ridicule, après tout elle en a le droit. On ne se connaît jamais bien soi-même ; cela a toujours été et cela sera toujours. »

Cette réflexion morale lui rappelant la nécessité de faire quelque frais pour la circonstance, ne fût-ce que pour corriger le mauvais effet de miss la Creevy par sa mise élégante, Mme Nickleby tint conseil avec sa fille relativement à certains rubans, à ses gants, à sa parure. Question compliquée et dont l’importance sans égale eut bientôt mis en déroute tous les autres sujets de conversation secondaire.

Le grand jour arrive, et Mme Nickleby se met entre les mains de Catherine une heure après le déjeuner, fait sa toilette à son aise, et se trouve prête assez tôt pour laisser à sa fille le temps de s’occuper de la sienne : ce qui ne fut pas long, tant elle y mit de simplicité ; et pourtant elle s’en acquitta avec tant de goût, qu’elle n’avait jamais eu un air plus charmant ni plus aimable. Miss la Creevy, de son côté, arriva avec deux cartons (dont le fond, par parenthèse, tomba par terre en les sortant de l’omnibus) et un petit paquet enveloppé soigneusement dans un journal, sur lequel un monsieur avait eu la maladresse de s’asseoir quand elle était descendue : il fallut un coup de fer pour réparer le dommage. Enfin voilà tout le monde en grande tenue, y compris Nicolas, qui était venu les chercher dans une voiture envoyée exprès par les frères. Mme Nickleby, pendant ce temps-là, se creusait la tête à deviner ce qu’on leur donnerait à dîner, et fatiguait Nicolas de questions sur ce qu’il avait pu en savoir le matin à la ville ; s’il avait senti de la cuisine l’odeur de la tortue ou de quelque autre bonne chose. Elle entremêlait ses interrogations de réminiscences sur les dîners où elle avait assisté il y avait quelque vingt ans ; elle en détaillait le menu, sans oublier d’énumérer aussi le nom des convives, peu intéressant pour ses auditeurs, qui n’en connaissaient malheureusement pas un.

Le vieux maître d’hôtel les reçut avec un profond respect et