Page:Dickens - Nicolas Nickleby, trad. Lorain, 1885, tome 2.djvu/447

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des coups de pied avec ses souliers ferrés, de tirer les cheveux aux plus petits, de pincer les autres jusqu’au sang, en choisissant l’endroit sensible ; en un mot, de se rendre, de mille manières, aussi utile et aussi agréable que possible à sa mère. Leur apparition dans la classe, par un mouvement spontané ou prémédité, on ne saurait le dire, devint le signal de la révolte. Un détachement d’insurgés commença par se précipiter vers la porte pour la barricader, un autre monta sur les bancs et sur les pupitres. Le plus fort, et, par conséquent, le dernier venu, moins épuisé que les autres, se saisit de la canne, et, regardant Mme Squeers en face, d’un air déterminé, lui arracha son chapeau de castor avec son bonnet, pour s’en coiffer lui-même, s’arma de la fameuse cuiller de bois, et la somma, sous peine de mort, de se mettre à genoux, et de prendre immédiatement une ration de son remède. Avant que la respectable dame eût eu seulement le temps de se reconnaître, ou d’opposer la moindre résistance, elle se trouva mise à genoux par une foule de petits bourreaux qui la forcèrent, à grands cris, d’avaler une bonne cuillerée de son odieux mélange, rendu plus savoureux que d’habitude par l’immersion de maître Wackford, dont ils plongèrent la tête dans le chaudron. Enorgueillie par ce premier succès, la populace effrénée dont on voyait les malignes figures groupées en une variété de spectres maigres et affamés, plus hideux les uns que les autres, poursuivit le cours de ses exploits. Le chef des conjurés insistait pour que Mme Squeers prit une nouvelle dose, et que maître Wackford recommençât l’exercice du plongeon à la mélasse ; enfin, Mlle Squeers elle-même était l’objet d’un assaut furieux, quand John Browdie, enfonçant la porte d’un vigoureux coup de pied, vint à la rescousse. Les hourras, les cris perçants, les grognements, les huées, les battements de mains cessèrent comme par enchantement, et furent remplacés par un morne silence.

« Voilà de jolis garçons ! dit John en regardant avec assurance autour de lui. Qu’est-ce que vous voulez donc faire, petits mutins que vous êtes ?

— Squeers est en prison, nous voulons nous sauver, crièrent à la fois une vingtaine de voix. Nous ne voulons pas rester ; nous ne resterons pas.

— Eh bien ! ne restez pas ! répliqua John. Qu’est-ce qui vous force à rester ? Mais au moins sauvez-vous comme des hommes, sans faire de mal aux femmes.

— Vivat ! crièrent les voix perçantes d’un ton plus perçant que jamais.