Page:Dickens - Olivier Twist.djvu/120

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et maintenant j’aimerais mieux être morte dans la rue, ou avoir pris la place de ceux auprès de qui nous avons passé ce soir, que d’avoir contribué à entraîner ici cet enfant. À partir d’aujourd’hui ce n’est plus qu’un voleur, un fripon, un scélérat ; faut-il pour cela que ce vieux misérable vienne encore le rouer de coups ?

— Allons, allons, Sikes, dit le juif d’un ton de reproche, et en lui montrant les jeunes filous qui écoutaient ce dialogue de toutes leurs oreilles, soyons calme, Guillaume ; il faut faire la paix.

— Faire la paix ! s’écria Nancy exaspérée ; vieux scélérat. Je n’avais pas la moitié de l’âge de cet enfant, que déjà je volais pour vous ! et voilà douze ans que je fais ce métier-là, et toujours pour vous ! Est-ce vrai ? dites ; est-ce vrai ?

— C’est bon, c’est bon, répondit le juif en tâchant de calmer Nancy ; mais ce métier-là est aussi ton gagne-pain : c’est lui qui te fait vivre.

— En effet, reprit-elle avec volubilité ; c’est ma vie, comme les rues sont ma demeure, malgré le froid, la pluie et la boue. Et c’est vous, misérable ! qui m’avez menée là, et qui m’y retiendrez nuit et jour jusqu’à ce que je meure !

— Il t’arrivera pis que cela ! interrompit le juif piqué de ces reproches ; pis que cela, entends-tu, si tu dis encore un mot. »

Elle se tut ; mais dans sa colère elle s’arrachait les cheveux et déchirait ses vêtements. Elle se précipita sur le juif et lui eût probablement laissé des marques de sa vengeance, si Sikes ne fût intervenu à temps en la prenant par les mains ; elle fit quelques vains efforts pour se dégager, et tomba évanouie.

« J’aime autant cela, dit Sikes en la posant à terre dans un coin de la chambre. Elle a une force étonnante dans les bras, quand elle est montée comme ça. »

Le juif s’essuya le front et sourit : il se sentait soulagé en voyant enfin cette scène terminée ; mais ni lui, ni Sikes, ni le chien, ni les jeunes voleurs, ne semblèrent y voir autre chose qu’un incident ordinaire et inhérent au métier.

« C’est le diable que d’avoir affaire aux femmes, dit le juif en remettant le bâton à sa place ; mais elles sont bien fines, et nous n’arriverions à rien sans elles. Charlot, mène coucher Olivier.

— Je suppose qu’il ne mettra pas demain ses beaux habits n’est-ce pas, Fagin ? demanda Charlot Bates en riant.